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croyant que vous voulez suivre les gens qui sont partis ?

— C’est notre intention, en effet, dit Franck Wingrove.

— Eh bien ! emmenez avec vous Suvanée, elle vous servira de guide. Une femme de ma race ne serait pas un embarras pour vous, et quant au motif qu’a Suvanée de partir avec vous, il n’est pas difficile à comprendre. Je veux retrouver Marian. C’est une Chicassaw comme moi ; l’Aigle blanc sait pourquoi je l’aime. Marian est malheureuse là où elle est. Je veux la délivrer. Si vous ne comprenez pas cela, vous n’êtes pas des hommes de cœur. »

Les deux hommes se consultèrent et finirent par conclure que la proposition de l’Indienne était inacceptable.

Dès qu’elle eut compris que les deux amis ne voulaient pas l’emmener, Suvanée se renferma dans un mutisme absolu. Ce fut en vain que Franck Wingrove lui offrit l’abri de sa hutte pendant son absence ; en vain qu’Édouard Warfield fit briller devant elle quelques dollars tout neufs. Elle se tint impassible devant eux, les lèvres serrées, et les yeux fixés malignement sur les eaux agitées du Mud-Creek. Elle ne sortit de cette réserve que lorsque le capitaine, impatienté de ce silence obstiné, dit au chasseur afin de piquer l’Indienne au jeu :

« Ne la tourmentez plus, Wingrove. Ne voyez-vous point qu’elle ne sait rien du tout ? »

Suvanée bondit en arrière, grimpa comme un chat sauvage sur un des troncs de la palissade voisine et cria aux deux amis :

« Ah ! je ne sais rien ! Ah ! vous ne me voulez point pour guide !… Allez, allez, vous vous perdrez en route. Le Serpent noir qui vous a volé vos deux colombes les emporte à travers les grandes plaines désertes. Il les mènera vers le grand lac, et là, il les noiera.

— Partez tout de suite, fille, ou je ne réponds pas de ma patience, dit le chasseur. Nous n’avons pas besoin ici de corbeaux croassant des cris de malheur.

— Ah ! ah ! ah ! » Suvanée éclata de rire et disparut de l’autre côté de la palissade.

Cet incident affecta les deux amis. Suvanée n’eut pas plutôt disparu qu’ils sentirent bien qu’ils avaient mal conduit leur négociation avec elle ; mais c’était chose faite. Ils cherchèrent dans les dernières phrases de l’Indienne une allusion au but du voyage de Stebbins. Il leur sembla que « ces grandes plaines désertes » voulaient dire la Californie. Mais le temps pressait ; et ils reprirent leurs recherches.

La plus importante était la découverte du jour où les voyageurs étaient partis. Les lettres de Lilian, non datées, ne donnaient aucun éclaircissement sur ce point :

« Ah ! si la pluie n’était pas survenue, dit le chasseur, j’aurais pu indiquer le moment précis par les traces laissées dans la boue, par leurs allées et venues pendant le chargement du canot.

— Mais qu’ont-ils pu faire des chevaux ? demanda Édouard Warfield. Ont-ils pu les emmener dans l’embarcation !

— J’y pensais justement. Celui que montait Stebbins devait être loué ; il l’aura rendu à son propriétaire ; il devait venir des étables de Kipp, ce soi-disant colonel aura envoyé un nègre pendant la nuit pour chercher l’animal.

— Mais le cheval de Holt ?

— « La vieille créature », comme il l’appelait, reprit Franck Wingrove, ne valait pas qu’on l’emmenât. Il l’aura laissée derrière lui.

— Elle n’est pas à l’écurie.

— Oh ! s’écria le chasseur qui venait de jeter les yeux autour de la clairière, voyez-vous ce cercle de busards qui sautille à terre derrière ce buisson. Je gage que « la vieille créature » est là. J’entends sa carcasse. Allons voir. »

Ils se dirigèrent de ce côté, et les vautours s’envolèrent avec regret à leur approche. Le vieux cheval gisait au pied d’un sycomore. Un large disque sanglant entourait la tête de l’animal dont le cou portait une large blessure.

« Il a tué cette pauvre bête ! s’écria le chasseur. N’eût-il pas mieux fait de la léguer à un de ses voisins ? Mais il n’était en bons termes avec personne ; son humeur était intraitable ; s’il avait épargné cet ancien serviteur, il n’aurait pas été le Hick Holt que je connais. »

« Depuis combien de temps pensez-vous qu’il soit tué ? demanda Warfield.

— Ah ! j’étais fou de n’avoir point pensé à cela, répondit Wingrove, qui se pencha vers le cadavre du cheval, mit le bout de ses doigts dans la large blessure du cou, les y maintint pendant quelques secondes et se releva en disant :