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crainte de désobéir à mon père j’ai dû cesser de causer avec vous comme avec un parent dévoué, lorsque je vous rencontrais dans la forêt, j’espère bien ne pas commettre une faute en vous écrivant, au moment de mon départ, que je n’ai jamais cessé d’avoir pour vous une amitié de sœur.

« Je regrette bien de quitter ce pays, mon cher Franck ; je regrette surtout de m’éloigner de vous. Vous étiez mon protecteur naturel après mon père ; je savais que votre affection ne m’aurait jamais manqué au besoin, et je me sens si seule, si abandonnée maintenant ! Votre pauvre petite Lily, que vous savez si timide, est vouée, je le crains, à une triste destinée.

Ce vilain homme qui a emmené ma sœur je ne sais où, nous enlève à sa suite, mon père et moi. Qu’allons-nous faire ? De quel côté va-t-il nous installer ? Je l’ignore et ce n’est pas là la plus grande de mes inquiétudes. J’ai entendu parler vaguement de ces contrées découvertes, au delà du Mississipi, près d’un océan qui n’est pas celui qui bat les rives du côté de New-York. Vous êtes plus savant que moi. Vous savez peut-être quel pays cela peut être.

« Ce qui me tourmente, mon cher Franck, je vous le dirai : C’est que mon père est sombre et semble se confier à regret à John Stebbins. Oui, par moments, on croirait qu’il est fâché de s’en aller avec lui, et qu’il n’ose ni lui désobéir ni le quitter. Puis ce pauvre père, qui, malgré sa rudesse avec tout le monde, a toujours été si tendre pour moi, est bien changé maintenant.

« Quand j’ai vu arriver si inopinément John Stebbins chez nous, quoique je ne l’aime pas et que son regard m’ait toujours fait peur, j’ai été polie avec lui, afin d’obtenir des nouvelles de ma chère Marian. Croiriez-vous qu’il n’a rien voulu me dire d’elle, et que mon père a frappé de ses deux poings sur la table en m’imposant silence ? Est-il donc mal à moi de m’informer de ma sœur, de cette sœur si douce, si bonne, que vous appréciiez si bien, mon cher Franck ? Mais si je n’ai point réussi la première fois, je ne me découragerai pas pour cela. Mon père ne sera pas toujours de si méchante humeur, et tout ce que je saurai sur Marian, je vous l’écrirai poste restante à Swampville. Il y a six mois que mon père ne m’a pas parlé de vous, mais il ne m’a point défendu de vous écrire, et j’espère ne pas faire mal en vous tenant au courant de ce qui nous arrive. Qui sait si je n’aurai pas à vous prier de venir à notre secours, car certainement mon père ne se doute pas de la méchanceté de son ami. Moi je la devine, rien qu’en regardant ce John Stebbins.

« C’est l’étranger qui a acheté notre plantation qui vous remettra cette lettre, mon cher cousin. C’est un jeune homme courageux et loyal, bien digne de devenir votre ami. Protégez-le contre les mauvais voisins ; soyez un frère pour lui, en reconnaissance de ce qu’il a fait pour Lilian.

« Adieu, mon cher Franck ; que toutes les bénédictions du ciel soient sur votre tête, c’est le vœu de

« Lilian Holt. »

« Eh bien ! voilà qui est résolu, dit le chasseur en se levant tout à coup.

— Qu’allez-vous faire ? lui demanda Édouard Warfield.

— Vous avez lu cette lettre, vous savez que je suis le fiancé de Marian, le cousin de la pauvre petite Lilly, et vous le demandez !… Je vais suivre John Stebbins, fût-ce au bout du monde. Oh ! je le traquerai, je le trouverai, fût-ce au fond des mines de la Californie.

— Vous êtes déterminé à le suivre ? demanda le capitaine en se levant à son tour.

— Tout à fait, par l’Éternel, et je jure de ne pas rentrer dans l’État de Tennessee avant de lui avoir arraché le secret de ses menées ténébreuses.

— Eh bien ! vous ne partirez pas seul, j’irai avec vous, dit Édouard Warfield ; je le veux, ne me demandez pas pourquoi. Ne cherchez point à m’en dissuader. Je m’attacherais malgré vous à vos pas. »