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Édouard Warfield relut plusieurs fois cette lettre, qui lui rendit plus sensible sa douleur d’avoir perdu tout espoir de retrouver cette douce et charmante créature ; puis, espérant que Franck Wingrove lui donnerait connaissance des feuillets à lui adressés, que la discrétion l’empêchait de lire, il courut à l’écurie, sella son arabe, traversa la forêt inondée, les marais gonflés, et alla frapper à la porte du chasseur.

La fortune favorisa Édouard Warfield. Par ce temps affreux, Franck Wingrove était chez lui, occupé à fondre des balles. Il fit au capitaine l’accueil le plus chaleureux, et lui demanda quelle réception le squatter lui avait faite.

Avant de lui remettre la lettre de Lilian, qui eût été incompréhensible pour Franck Wingrove sans le récit de tout ce qui s’était passé chez Holt, le capitaine lui raconta sa rencontre avec la jeune fille de la forêt, puis la scène de la provocation et du duel, enfin l’intervention de l’ami inconnu qu’il dépeignit à grands traits, afin d’obtenir des renseignements sur ce personnage.

« Dieu me pardonne ! interrompit le chasseur, c’est le portrait de John Stebbins, de cette canaille, que vous me faites-là. Ah çà ! il est donc revenu ?

— John Stebbins, c’est en effet le nom que Holt lui donnait. »

Édouard Warfield continua sa narration, mais il s’aperçut que Franck Wingrove ne l’écoutait presque plus. Le chasseur s’était levé et marchait à pas nerveux et irréguliers ; puis tout à coup il saisit son rifle, et posant la crosse à terre, il le chargea.

« Ou allez-vous et pourquoi n’attendez-vous pas la fin de mon récit ? lui demanda le capitaine en le voyant prendre sa poche à poudre et sa casquette de peau de racoon.

— Je serai bientôt de retour, excusez-moi. Il y a là un petit dîner froid pour vous. Usez de tout ce qui est ici comme si c’était vôtre.

— Écoutez, Franck Wingrove, lui dit le capitaine. Nous sommes amis depuis bien peu de jours, mais, pour ma part, je suis disposé à une pleine confiance envers vous. Je vous prie de me traiter de même. Croyez que je le mérite. Ceci entendu, voulez-vous un second, là où vous allez ? Avez-vous besoin de mon aide ? Je vous suis tout acquis.

— Merci, répondit le chasseur, en mettant sa rude main dans celle d’Édouard Warfield ; mais vous avez assez d’embarras dans vos propres affaires sans prendre la moitié de mon trouble par surcroît.

— Si ma question n’est pas indiscrète, insista le capitaine, dites-moi au moins ce que vous allez faire, afin que je ne sois pas trop tourmenté en votre absence.

— Oh ! c’est bien simple, dit avec sang-froid le chasseur. Je vais tuer John Stebbins.

— Le tuer ! s’écria Édouard Warfield.

— Ou me faire tuer par lui… Mais je ne crois pas à ce dernier résultat de notre duel. Écoutez, capitaine, ce n’est pas là une boutade de ma part. C’est lui qui a emmené Marian. Depuis six mois, je l’ai cherché en vain pour le punir de ce méfait. Vous me dites qu’il est revenu et je vais courir après lui… C’est bien simple !

— Courir, où ?

— Mais à Swampville.

— Vous ne l’y trouverez plus.

— Allons donc ! Vous l’avez vu avant-hier à la clairière de Holt.

— C’est juste ; mais je suis certain qu’il est parti, et peut-être que cette lettre de Lilian que je vous apporte va-t-elle vous dire quelle direction il a prise en emmenant avec lui le reste de la famille.

— Lill et son père se sont confiés à ce misérable ! s’écria Franck Wingrove. Qu’y a-t-il donc entre ces deux hommes pour que le squatter obéisse ainsi à ce renard de Stebbins ? Donnez-moi la lettre, capitaine, que je voie si elle m’éclaire un peu sur les desseins de ce traître… Mais la colère m’étouffe, je vois rouge. Des lueurs dansent devant mes yeux. Lisez-la-moi, capitaine, voulez-vous ? »

Le chasseur ne pouvait rien demander à Édouard Warfield qui fût plus agréable à ce dernier, il déplia donc les feuillets et lut lentement, pendant que Franck Wingrove, assis sur un tabouret et le fusil entre ses jambes, promenait ses mains nerveuses sur le canon bruni de sa bonne arme.

À Franck Wingrove.
« Mon cher cousin, mon bon Franck,

« Je ne puis pas me résoudre à quitter ce pays sans vous laisser un mot d’adieu. Si par