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différend de la matinée, car, se voyant observés par le capitaine, ils voulurent rentrer dans la hutte, et y trouvant Lilian qu’ils ne désiraient sans doute pas avoir pour témoin de leur conférence, ils firent le tour de la maison, afin de pouvoir s’entretenir hors de la portée de tout œil et de toute oreille.

Quant à ce dernier point, leur prévision fut mise en défaut. De la place où Édouard Warfield était posté, son regard pénétrait dans l’intérieur de la hutte, et depuis que les deux personnages en avaient abandonné le seuil, le capitaine prenait plaisir à contempler de loin cette aimable et mignonne Lilian qui avait tenté si opiniâtrement de le sauver, ainsi que son père, des périls d’un duel ; il la vit tout à coup marcher avec précaution, s’approcher de la paroi qui faisait le fond de la cabane et y appliquer son oreille pour écouter ce que son père et l’inconnu se disaient au dehors. Elle resta là dix minutes environ ; puis elle revint sur ses pas, tendant encore sa tête en arrière connue pour s’assurer que les deux interlocuteurs ne faisaient pas mine de quitter leur retraite, et dès qu’elle fut arrivée au seuil de la cabine, elle prit sa course, aussi légèrement qu’un oiseau qui s’envole et arriva près du capitaine qui se leva respectueusement à son approche.

« Asseyez-vous, lui dit-elle d’une voix oppressée, ne bougez point et parlez le plus bas possible… D’abord, écoutez-moi. Je vous prie de ne pas prendre une mauvaise idée de moi parce que vous m’avez vue écouter à travers les murs. Je l’ai fait surtout dans l’intérêt même de mon père. Je n’en ai pas l’habitude. Mais j’ai tellement peur de ce méchant John Stebbins, que j’espérais ne jamais revoir, et des conseils que le mauvais génie de notre demeure donne à mon père, que j’ai craint qu’il ne l’engageât à faire quelque mauvaise action dont mon père et vous-même auriez été les victimes… Je vous en supplie, monsieur, ne vous battez pas avec mon père.

— Plutôt que de vous causer la moindre alarme, répondit le capitaine d’une voix émue, je vous promets que je supporterai toutes les injures.

— Je sais maintenant pourquoi vous êtes venu ici, reprit Lilian ; ils ont parlé de votre querelle, et je sais que si vous ne voulez plus vous battre, mon père ne cherchera pas à recommencer le duel. John Stebbins l’a fait changer d’avis. Ils doivent vous faire une proposition. Laquelle, je n’en sais rien, mais je vous en prie, monsieur, acceptez-la, pour l’amour de la paix.

— Quelle qu’elle soit, dit Édouard Warfield, je l’accepterai, je vous le promets.

— Merci, monsieur ! murmura Lilian avec une confusion qui fit monter des roses à ses joues… Mais ils viennent… Pourvu qu’ils ne me voient pas… » Et elle s’enfuit vers la cabane.

Le bruit de ses pas fut heureusement couvert par les voix plus hautes des deux hommes qui tournaient l’angle de la hutte. Avant qu’ils n’eussent atteint la façade de la cabane, la jeune fille avait disparu.

John Stebbins s’arrêta au seuil de la hutte ; le squatter alla droit au capitaine.

« Étranger, dit-il à Édouard Warfield, j’ai une proposition à vous faire ; si vous y accédez, non seulement nous n’aurons plus à nous envoyer des balles, comme tout à l’heure, mais encore il ne nous restera plus le moindre sujet de querelle. Je ne reconnais pas vos droits sur ma clairière, monsieur. Je l’ai faite et la déclare mienne, et je n’admets pas que l’on puisse m’en chasser. Mais ceci dit, je ne tiens pas plus à cette plantation qu’à une autre. Je m’établirais même assez volontiers ailleurs. Donc, si vous voulez m’indemniser des travaux que j’ai faits ici, je vous abandonnerai clairière et cabane. Voilà ma proposition. Qu’en dites-vous ?

— À quelle somme, monsieur Holt, évaluez-vous les améliorations que vous avez faites dans la clairière ?

Édouard Warfield était ému en adressant cette question au squatter. Sa bourse était légère, car elle contenait un peu moins de deux cents dollars, et il craignait que cette somme ne satisfit point les prétentions de Holt.

« Eh bien ! dit celui-ci après un moment de silence, cela vaut un bon nombre de dollars ; mais je ne veux pas faire moi-même cette évaluation. Voici mon ami John Stebbins, qui est honnête et juste et quelque peu avocat, il nous dira ce que valent mes peines. N’est-il pas vrai, John ? »

Édouard Warfield, qui se figurait toujours que le visiteur de Holt était un homme d’église, trouva que le squatter en agissait bien familièrement avec lui.

John Stebbins s’avança et dit à Édouard Warfield : « Monsieur l’officier accepte-t-il mon intervention ?