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l’enlevant dans ses bras, comme il eût fait d’un enfant. Votre place n’est pas ici. Rentrez à la maison.

— Père, pourquoi êtes-vous en colère contre lui ?

— Finissez, Lill, ceci ne regarde pas les petites filles… Bon, voilà que vous pleurez ! Eh bien ! il m’a appelé lâche et veut nous chasser de notre clairière, et… c’est lui qui est un lâche !

— Père, il est brave, je le sais. IL y a une méprise entre vous.

— Vous savez qu’il est brave ? Vous extravaguez, ma fille, car sûrement vous n’avez jamais vu cet homme-là.

— Mais écoutez-moi, s’écria Lilian, en s’attachant aux vêtements de son père qui voulait l’entraîner vers la hutte, il m’a aujourd’hui même arrachée à la mort dans la forêt. Il ne faut pas qu’il meure. Vous n’avez pas le droit de tuer celui qui vient de sauver votre fille.

— Holà ! holà ! s’écria une voix aiguë, que signifie tout ce tapage ? »

Et un nouveau personnage apparut dans l’enclos du squatter.


CHAPITRE V
Le pacificateur. — Un ami dans le camp adverse. — Transaction à l’amiable. — Doux rêve d’avenir.


Édouard Warfield eut à peine le temps de regarder l’étranger, qu’il vit le squatter décontenancé et, en quelque sorte, effrayé par l’arrivée, évidemment très inattendue pour lui, d’un homme qu’il croyait sans doute bien loin. Profitant de sa stupéfaction, Lilian, qui d’abord l’avait partagée, se ravisa vivement, et s’empara du rifle que son père tenait d’une main mal assurée. Celui-ci n’opposa cette fois aucune résistance à sa fille, qui courut cacher l’arme dans la maison.

Édouard comprit d’autant mieux qu’il y avait une trêve subite au combat pour circonstance de force majeure, que, sans plus faire attention à lui qu’à un des arbres morts de la clairière, le squatter, oubliant tout, courut refermer les barres de la barrière et prit le cheval de l’inconnu par la bride pour le conduire dans l’enclos.

Édouard Warfield, qui venait d’éprouver la rudesse de Holt, fut étonné de l’accent d’humble déférence avec lequel il accueillait cet inconnu et, naturellement, il regarda l’homme auquel le squatter témoignait tant d’égards.

Cet examen ne fut point favorable à l’étranger qui, en dépit de son costume semi-clérical, — il était complètement vêtu de drap noir — avait une physionomie cauteleuse et sournoise.

S’apercevant que personne ne faisait plus attention à lui, le capitaine s’assit sur une souche d’arbre et examina curieusement les deux hommes qui s’étaient arrêtés au seuil de la cabane et qui causaient d’une façon très animée. Holt faisait de grands gestes, moitié d’étonnement, moitié de colère, arrivant difficilement à les dissimuler ; l’étranger parlait plus posément, paraissant argumenter avec suite, et pour toute mimique, posait de temps en temps son index au bout de son nez pointu, pendant que ses petits yeux, enfoncés dans leur orbite, clignotaient l’un après l’autre.

Ils ne parurent pas d’abord s’entretenir de l’affaire que l’arrivée de l’étranger avait interrompue. Il était clair qu’ils avaient quelque point plus important pour eux à débattre, car, pas une seule fois, ils ne se tournèrent du côté du capitaine, mais quand ils se furent entendus sur un premier sujet, comme en témoigna une poignée de main finalement échangée, il fut facile de comprendre qu’ils en étaient arrivés à traiter la question du