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— Descendez de cheval, alors, et prenez votre poudre et vos balles. Moi, je n’aurai besoin que de tirer un coup, je le sais. Mais si je vous manquais, par hasard, visez juste, car l’un de nous doit rester sur cette clairière, j’entends qu’il y doit laisser sa vie.

— Qui donnera le signal ?

— Voici. Je vais aller chercher à la maison un morceau de viande de daim, et je le jetterai au milieu de la clairière. Vous voyez ces busards perchés sur ces arbres ? Avant longtemps, l’un d’eux volera vers cet appât. Le moment où le premier touchera le sol sera le moment de l’action. Vous me comprenez, n’est-ce pas ! »

Sur ces paroles, il gagna sa hutte et revint en apportant la pièce de venaison.

« Maintenant, à votre place, cria-t-il au capitaine, et tâchez de montrer autant de courage qu’en aura ce lâche d’Hickmann Holt.

— Attendez ! s’écria Édouard Warfield, il reste quelque chose à faire. Vous agissez en homme d’honneur, je le reconnais volontiers. Vous méritez d’avoir une chance de vie, et si je tombais mort, vous seriez en danger. On pourrait vous accuser de m’avoir assassiné, et il serait mal de ma part de ne pas vous éviter ce malheur.

— Que voulez-vous dire ? demanda le squatter.

Édouard Warfield tira son portefeuille, et, déchirant une page blanche, il y écrivit au crayon :

« Je suis tombé dans un combat loyal. Qu’on n’inquiète personne au sujet de ma mort. »

Il data cette pièce, la signa et la montra à son adversaire. Celui-ci la lut, réfléchit un instant, et dit au capitaine :

« Vous avez raison. Je n’avais pas pensé à cela. Je crois que ce document ne sera pas pire si j’y joins mon nom. Je n’en sais pas plus qu’un écolier, mais je puis signer toujours. Votre crayon, s’il vous plaît ? »

Appuyant la feuille de papier à un tronc d’arbre, il mit son nom au-dessous de celui d’Édouard Warfield, puis, tirant son couteau, il le lança dans le morceau blanc de la feuille de papier, qui resta fichée contre l’arbre.

« Et maintenant, monsieur, dit-il, à votre place. Je vais jeter l’appât. »

Le capitaine obéit. Il alla se poster à l’endroit convenu, ne sentant d’autre émotion que la contrariété de se battre lorsque sa colère était tombée, et se blâmant de risquer sa vie et celle de ce squatter pour quelques paroles en l’air.

Il voulut essayer un dernier effort de conciliation.

« Holt, s’écria-t-il, vous êtes un brave homme. Je rétracte tout ce que je vous ai dit de blessant, et dès lors, à quoi bon nous battre ?

— Vous êtes un lâche ! s’écria le squatter, et ce qu’il y a de pire, un lâche sous des habits de soldat. Taisez-vous, car vous effrayez les busards, et par Dieu ! si vous les troublez, je tire sur vous au premier qui s’envole !

— Convenu ! ce sera le signal, » répondit Édouard Warfield décidé par cette nouvelle injure à toutes les chances du combat. Il serra mieux son rifle et veilla au mouvement des oiseaux.

Cinq longues minutes se passèrent ainsi, sans qu’aucun des busards bougeât.

Le naturel emporté de Holt ne put tenir de se manifester :

« Damnés busards ! s’écria-t-il, ils vont nous tenir là jusqu’au coucher du soleil. Nous ne pouvons pas attendre ainsi leur bon plaisir. J’espère que vous… »

La phrase du squatter fut interrompue par le hennissement d’un cheval qui approchait de la clairière. Au même instant, les oiseaux sortirent de leur léthargie. Quelques-uns parurent se disposer à prendre leur vol. Le terrible moment était venu.

Édouard Warfield épaula son rifle et regarda son adversaire. Holt levait son arme aussi, mais d’une façon presque mécanique et comme s’il hésitait à viser. Son regard montrait pour la première fois de l’irrésolution. Au lieu d’être tourné vers les busards ou vers son antagoniste, il était dirigé vers un autre point, du côté du sentier. Le capitaine, oubliant le danger, allait se retourner pour voir l’objet qui attirait l’attention de Holt dans un moment si critique, lorsqu’il entendit un cri d’effroi, d’une intonation féminine. Un cheval avait foncé sur la barrière, qui s’était ouverte sous le choc, et il vit apparaître la jeune fille qu’il avait sauvée du cougar dans la forêt.

Le capitaine n’était pas encore revenu de sa surprise, que la jeune fille se jetait à bas de son cheval, courait dans les bras de Holt et s’écriait en embrassant le squatter :

« Père, cher père, qu’a-t-il fait ? grâce pour lui.

— Arrière, Lilian, répondit le squatter en