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venait du côté opposé. Aussi serra-t-il la bride, afin de ne pas s’exposer à une rencontre qui aurait pu devenir fâcheuse pour les deux cavaliers dans un passage aussi étroit, avec l’arabe lancé au galop, comme cela était nécessaire pour franchir l’obstacle.

Le capitaine resta muet d’étonnement et d’admiration, lorsqu’apparut sur un fonds de feuillage la monture dont il avait entendu le pas ; ce n’était pas un cavalier que portait ce vieux cheval décharné, à crinière rude et rare, qui s’avançait clopin-clopant, comme un vrai Rossinante, mais une blonde jeune fille d’environ seize ans, d’un galbe si pur, que sa figure paraissait entourée d’un nimbe par le rayon de soleil qui se glissait sous l’aile de son chapeau de paille ; elle était grossièrement vêtue d’une robe de homespun à manches ; mais sa chevelure dorée, flottant sur ses épaules, était plus belle qu’un manteau royal.

Cette apparition si peu attendue causa un tel trouble à Édouard Warfield, que, tout en se reprochant de ne pas oser adresser la parole à cette jeune fille pour lui dire une de ces phrases polies que la circonstance autorisait, il se borna à la saluer profondément, et se mit à faire le tour de l’obstacle posé en travers du chemin, en prenant par la droite. Ce fut sans réfléchir qu’il s’engagea dans ce sentier battu, car il s’avisa, en le traversant, qu’il avait pris égoïstement le sentier le plus court, celui qui tournait autour du tronc de l’arbre, tandis que l’autre, qui avait à longer son branchage, décrivait un bien plus large circuit. Mais la maladresse était faite et il n’était plus temps de s’en excuser.

Toutefois, le capitaine ne put s’empêcher de se retourner pour tâcher d’apercevoir de nouveau la jeune fille. Il revit sa chevelure d’or flottant au milieu de l’entremêlement des branches, lorsqu’un cri le fit tressaillir sur sa selle. En quelques secondes, il eut franchi l’espace qui le séparait de l’inconnue, et l’arabe se trouva côte à côte avec la haridelle qui renâclait avec force, en pointant ses deux oreilles. La jeune fille tirait sur la bride pour faire avancer son cheval ; mais celui-ci n’osait pas, et il reculait autant que lui permettait la nature du lieu. Ce mouvement rétrograde du cheval était causé par l’épouvante de quelque chose qui était sans doute en travers de son chemin. Édouard Warfield regarda dans cette direction et aperçut sur une souche déracinée la hideuse forme d’un cougar.

Le terrible animal avançait lentement le long du bois mort, non par bonds ou pas à pas, mais de l’allure traîtresse d’un chat.

En un rien de temps, Édouard Warfield avait armé son fusil et en avait appuyé le canon contre l’oreille de son cheval. C’était commander à l’intelligent arabe la plus parfaite immobilité.

Le coup partit… et quand la fumée se dissipa sous le feuillage, il vit le corps du cougar se tordant sur le sol.

L’inconnue, qui tremblait encore, remercia le capitaine avec effusion, et elle accepta avec reconnaissance l’offre que lui fit Édouard Warfield de l’accompagner à travers la forêt, afin de la préserver de nouveaux dangers, s’il s’en présentait encore.

Mais le mode de locomotion praticable dans les étroits sentiers interdisait toute causerie un peu suivie. Édouard apprit seulement qu’elle allait visiter, de l’autre côté du Mud-Creek, un ami de son père, et ils furent bientôt en vue du gué qu’elle devait traverser.

Là ils durent se séparer, la jeune fille remercia une dernière fois son sauveur avec la plus naïve effusion, et engagea sa monture dans le cours d’eau qu’elle avait à passer. Ce fut tout au plus si le capitaine avait trouvé quelques mots à lui répondre. En voyant l’adorable créature aborder l’autre rive et disparaître derrière un fourré d’arbres, Édouard Warfield se demanda si ce qui venait de se passer n’était point un rêve.