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rures à vendre chaque année. En vérité, ma femme aurait été aussi heureuse que celle du plus laborieux pionnier. Il a fallu que la vanité de Holt vînt m’interdire toute espérance, et comme s’il ne m’avait pas assez puni de mon triomphe en m’interdisant sa maison, il a livré ma pauvre Marian à ces êtres hors la loi qu’on appelle les Mormons. En aurait-il fait autant de sa seconde fille ? Oh ! non ; c’est parce que Marian m’avait choisi qu’il l’a punie ainsi de son affection pour moi.

— Comment est-elle cette seconde fille ? demanda Édouard, toujours préoccupé de son rêve. Ressemble-t-elle à sa sœur aînée ?

— Pas du tout. Ma pauvre Marian était fille d’une demi-sang de la tribu des Chicassaws à laquelle appartient Suvanée ; quoique brune, elle est très belle, et sa sœur ne lui ressemble pas plus qu’un racoon ne ressemble à un écureuil.

— Est-ce à dire que cette seconde sœur soit laide ? demanda le capitaine avec une sorte d’inquiétude.

— Oh ! non ; Lilian, la petite Lilly est une jolie créature, blonde comme sa mère qui était ma propre tante. »

Après cet entretien, le chasseur retomba dans sa mélancolie, et Édouard Warfield ne tenta pas de l’en distraire. Ils avançaient donc en silence. D’ailleurs les réflexions personnelles du capitaine étaient suffisantes pour lui donner de l’occupation. La connaissance qu’il venait de faire du caractère d’Hickmann Holt lui promettait une bataille lorsqu’il faudrait faire valoir ses droits contre le squatter. Puis, la confidence de Franck Wingrove l’excitait à une sincérité analogue, et il allait lui confier sa situation, sûr désormais de ne pas trouver en lui un ennemi, lorsque le chasseur arrêta une fois encore son cheval.

« Notre route bifurque ici, dit-il à Édouard Warfield ; le sentier à gauche va droit à la clairière du squatter ; le sentier à droite mène à ma plantation. Êtes-vous certain d’avoir une réception cordiale et un lit chez Hickmann Holt ?

— À vous dire le vrai, j’en doute fort, répondit Édouard Warfield en souriant ; mais cela ne m’inquiète guère. J’ai mon vieux manteau et ma selle ; ce ne serait pas ma première nuit à la belle étoile.

— C’est que, si vous étiez homme à vous contenter d’une peau d’ours, je vous offrirais de grand cœur, dans ma hutte, un lit improvisé.

— C’est plus que je n’en aurais à attendre du squatter, d’après l’affaire qui m’amène chez lui, dit Édouard Warfield ; aussi, sans autre préambule, j’accepte votre offre cordiale. »

Ils reprirent leur route, et après avoir parcouru environ deux milles, ils arrivèrent à la plantation de Franck Wingrove.

Une cabane lézardée pour logement ; une peau d’ours pour lit ; de la venaison froide, du pain et du café pour souper, avec quelques pipes à fumer comme dessert, mais tout cela, offert de bon cœur, constituait une hospitalité que nul vieux soldat n’aurait dédaignée.

Le lendemain, les deux jeunes gens furent debout de bonne heure et quand le capitaine fut prêt à partir, Franck Wingrove lui donna ses dernières instructions sur le chemin à suivre. L’étranger devait traverser une partie de la forêt ravagée par le hurricane, et bien que ce fléau ne se fût exercé que sur deux cents yards d’étendue, le chemin à faire afin de le traverser était double en raison des difficultés.

Le hurricane est un tourbillon de vent qui s’acharne contre une forêt, et, pionnier violent, y dessine des clairières en renversant, en brisant les arbres sur une grande étendue de terrain.

Édouard Warfield qui s’attendait, sur les indications de son hôte, à traverser une scène de désolation, ne rencontra que le spectacle gracieux de l’épanouissement de la vie végétale sur les anciennes ruines de l’ouragan.

À droite et à gauche, le hurricane avait tracé une place nette, quelque chose comme une vaste avenue dessinée par des géants, et faite à leur usage. Édouard Warfield avait chevauché longtemps, tant dans cette avenue que sous la feuillée, et il était revenu sur le chemin, pensant avoir passé tous les obstacles, lorsqu’il y rencontra la plus grande des victimes de l’ouragan. C’était un chêne géant, un patriarche de la forêt, renversé comme un roseau brisé net à un mètre et demi du sol. Il s’aperçut en même temps que le sentier faisait une fourche au delà du tronc renversé. Avant de se décider pour l’une ou pour l’autre de ces traces, il fallait franchir l’arbre, et le capitaine résolut d’habituer son arabe aux obstacles de la locomotion dans cette forêt, en le faisant sauter par-dessus le tronc. Dans cette intention, le cavalier fit reculer l’animal, et il se disposait à prendre son élan, quand il perçut le bruit des pas d’un autre cheval qui