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le morceau de terrain que j’ai payé, moi, au Land-Office.

— En vérité ?

— Oui, monsieur, et je ne voudrais pas être celui qui achètera la section 9. »

Franck Wingrove accompagna ces paroles d’un regard qui semblait demander si c’était une affaire de ce genre qui amenait l’étranger dans ce pays perdu.

« Ce Holt a-t-il de la famille ? dit le capitaine sans se décontenancer.

— Il a une fille.

— Une seule… et… jeune ? » demanda Édouard Warfield avec intérêt, car il pensa que son rêve d’établissement pourrait peut-être se compléter bientôt, si le terrible squatter avait une fille aimable et bonne, à laquelle la pauvreté dans un désert ne ferait point peur.

« Il en avait une autre, monsieur Warfield, répondit le chasseur avec tristesse ; elle est partie, et l’on ignore ce qu’elle est devenue depuis six mois. »

À la faveur d’un rayon de lune, le capitaine vit que Franck Wingrove était très ému ; sa question avait sans doute réveillé des souvenirs douloureux chez le chasseur, et il respecta d’autant mieux le silence que garda son compagnon, que le chemin se rétrécit de nouveau et ne leur permit plus d’avancer de front. Bientôt, ils sortirent de l’obscurité des grands bois et débouchèrent dans une belle clairière éclairée par la lune.

Édouard Warfield admirait ce tableau riant, lorsque son guide fit tout à coup une halte.

« Qu’y a-t-il ? demanda Franck Wingrove en faisant briller à sa main droite la lame nue de son couteau de chasse.

— Les yeux de l’Aigle blanc ne sont pas perçants la nuit, dit une voix d’une extrême douceur. Il ne sait point reconnaître ses amis ! » Et une forme féminine sauta par-dessus un tronc d’arbre gisant au bord de la clairière, puis vint se placer en pleine lumière devant les deux voyageurs.

« Suvanée ! » s’écria Franck Wingrove.

Le capitaine vit alors une jeune Indienne, et la trouva charmante avec son profil fin, sa longue chevelure, sa tunique brune sur laquelle tombaient des colliers de verroteries, et ses longs yeux brillants.

« Il est tard, fille, dit Franck Wingrove, pour se promener dans les bois.

— Pourquoi me le reprocher ? Il y a six mois que je n’y suis venue.

— Et qu’attendez-vous ici ? Ce n’est pas moi, je pense.

— C’est vous que j’y attendais justement, répondit Suvanée. Je suis allée à votre plantation, j’ai su que vous étiez à Swampville, et je suis venue ici pour vous voir passer à votre retour.

— Vous avez quelque chose à me dire, mon enfant ? Faites vite alors, car j’ai ce gentleman à conduire, et…

— Que l’Aigle blanc renvoie son ami en arrière. Ce que l’ai à lui dire n’est que pour son oreille.

— Je n’ai point de secrets pour mes amis.

— Pas même si j’ai à vous parler de Marian Holt ? »

Le chasseur tressaillit et se pencha vers l’Indienne, comme pour voir si elle était sérieuse en s’exprimant ainsi. Édouard Warfield s’éloigna par discrétion, et n’entendit point le court dialogue de son guide avec l’Indienne ; du moins les premières phrases lui échappèrent ; mais bientôt Franck Wingrove éleva involontairement la voix, et ces mots parvinrent aux oreilles du capitaine :

« Faut-il vous croire, Suvanée ? Quoi ! c’est avec un Mormon qu’elle est partie ! et cela, sans faire la moindre résistance, de son plein gré ?

— Elle pleurait, elle pleurait beaucoup quand je l’ai rencontrée près du fort Smith en compagnie d’un homme de méchante mine et d’une femme très grosse et très laide.

— Ne vous a-t-elle rien dit pour moi ?

— Cette femme, qui la surveillait, nous a séparées tout de suite. »

Ils parlèrent encore, mais plus bas, et enfin le capitaine, regardant du côté où il avait laissé son guide, le vit seul et vint le rejoindre. Suvanée avait disparu.

Ils cheminèrent quelque temps en silence ; puis le chasseur, dont le cœur était trop plein, dit à son compagnon :

« Monsieur Warfield, j’ai toute confiance en vous, bien que je vous connaisse de ce soir seulement. Je veux vous conter mon malheur. Peut-être qu’il vous intéressera. » Et il fit au capitaine toutes ses confidences, que celui-ci reçut avec beaucoup de sympathie.

« C’était si naturel, une alliance entre Marian et moi, dit le chasseur. Nous étions déjà parents ; si je ne suis pas riche, ma plantation vaut mieux que celle d’Hickmann Holt. Je suis habile tireur ; j’ai un beau lot de four-