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croire que c’est moi… Ah ! cela dépasse tout ce que mon courage d’homme pourrait supporter ! »

Ce cri du cœur échappé au malheureux Holt, le livra complètement à John Stebbins.

« Non, vieux camarade, lui dit-il, je ne suis pas capable de vous dénoncer. Si les apparences sont contre vous dans… la chose en question, je ne voudrais pas qu’un ancien ami à moi fût tourmenté pas la justice, de mon fait. Mais si vous opposez la moindre résistance à mon projet d’emmener votre fille, vous m’obligerez à lui donner à choisir entre l’heureuse existence que je lui prépare auprès des saints, et la triste vie qu’elle mène dans ce désert auprès du meurtrier de…

— Assez ! dit Holt tout à fait vaincu. Que ma pauvre chère Marian y consente ou non, elle partira avec vous, et puisse-t-elle n’avoir pas à me reprocher un jour d’avoir cédé à la pression que vous exercez sur son malheureux père !


CHAPITRE III
L’hospitalité forestière. — Le hurricane. — Une apparition inattendue. — Le cougar rouge.


Le lecteur a compris que nous n’avons fait que semblant d’oublier Édouard Warfield. Mais il nous a paru bon, avant de revenir à lui, de faire connaître tout d’abord au lecteur son compagnon improvisé, et puis ensuite ce qu’étaient, six mois avant la halte qu’il avait dû faire à l’hôtel du colonel Kipp, les choses et les gens avec lesquels il allait se trouver en rapport.

Avant même de quitter les rues de Swampville avec son guide volontaire, Édouard Warfield avait appris que le jeune chasseur dont il avait fait son guide s’appelait Franck Wingrove. Lorsqu’ils eurent dépassé les faubourgs de la cité, ils entrèrent dans la forêt, suivant une route à peine tracée où les chevaux enfonçaient à chaque pas et ne pouvaient cheminer deux de front. Édouard Warfield se conforma aux instructions du chasseur qui lui avait recommandé de suivre sa monture de très près.

Ils avancèrent pendant une mille à travers deux allées d’arbres aimant l’humidité, cotonniers et sycomores. Leurs grands troncs gris s’élevaient le long du sentier, serrés les uns contre les autres, parfois en lignes aussi régulières que les colonnes d’un temple. Un peu plus loin, le chemin monta ; les voyageurs atteignirent le sommet qui sépare Mud-Creek (le ruisseau de la boue) de la rivière de l’Obion. Le sol, qui portait une forêt de pins, devint sec et pierreux. Les arbres s’espacèrent, ce qui permit aux deux jeunes gens de chevaucher à côté l’un de l’autre. Édouard Warfield en fut aise, car il lui tardait de causer avec sa nouvelle connaissance, dont il avait pris le silence jusque-là pour une réserve de délicatesse.

Franck Wingrove ne paraissait pas disposé à prendre l’initiative d’un entretien ; aussi, après quelques questions banales sur le climat du pays, le capitaine lui dit :

« Quelle sorte de gentleman est ce M. Holt que je vais voir ?

— Monsieur Warfield, c’est ce que nous appelons dans ces parages une rude pratique.

— Est-il pauvre ou riche ?

— Pauvre assurément, car il ne possède au monde que sa clairière d’un couple d’acres et un vieux cheval.

— Cette clairière lui appartient-elle ? Vous semblez le dire, monsieur Wingrove.

— Elle lui appartient dans ce sens qu’il l’a défrichée, et il la considère aussi bien comme sienne que je regarde comme m’appartenant