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C’étaient trois de ces Chicassaws dont les tribus ont émigré depuis longtemps à l’ouest du Mississipi. Quelques familles ont préféré rester dans leur pays natal, et errent, çà et là, menant une existence assez analogue à celle de nos Gitanos européens. Comme leurs ancêtres, ils passent leur vie sous des tentes ou en plein air, trafiquant de petits objets qu’ils confectionnent. Les trois Indiens qui survenaient, père, mère et fille, allaient évidemment pour ce petit commerce au settlement de Swampville, car si l’homme marchait fièrement en avant, les mains vides, la femme se courbait sous le poids d’un panier contenant des peaux de renards et de racoons, et la fille portait des corbeilles d’osier, des mocassins et des ceintures. Quant à l’homme, il serait injuste de dire qu’il était en tout point semblable au quatrième officier de la chanson de Marlborough, car s’il dédaignait d’alléger la lourde charge de marchandises sous lesquelles les deux femmes fléchissaient, un long fusil rouillé, passé en bandoulière, et une hachette à sa ceinture, lui constituaient une tenue formidable pour un homme allant au marché.

L’homme et la femme traversèrent la clairière sans s’arrêter devant le chasseur, qui les salua d’un signe de tête ; mais la jeune fille indienne se posa devant lui en souriant, et le regarda longuement sans lui rien dire, pendant que son père et sa mère s’éloignaient sans plus s’inquiéter d’elle.

« Que me veux-tu, Suvanée ? lui demanda-t-il brusquement, gêné par les deux yeux que la Chicassaw tenait fixés sur lui.

— Ah ! ah ! dit-elle, le gibier peut se lever sous les pas de Franck Wingrove, le hardi chasseur le laissera partir sans le saluer d’une décharge de son rifle. Ah ! ah !… Et Franck Wingrove ne pense plus à cultiver son champ, ni surtout à briller aux fêtes du tir, parce que cela lui a porté malheur… Suvanée sait tout cela et encore autre chose qu’elle pourrait lui dire.

— Laisse-moi, fille, s’écria le chasseur impatienté. En suis-je déjà venu à être la fable des gens de ton espèce !

— Tu ne méprises pas toutes celles qui ont du sang chicassaw dans les veines, répondit Suvanée avec plus de malice que de dépit, et je suis peut-être seule à savoir que ton chagrin vient de là. Est-il vrai que tu sois brouillé avec le squatter Holt pour avoir gagné le prix à la fête du tir, quand il avait la prétention de l’emporter ?

— C’est devant tous les squatters du district qu’il m’a injurié et qu’il m’a défendu de remettre les pieds sur sa clairière, à moi qui suis son seul parent, puisque la mère de Lilian, pauvre douce femme ! était ma propre tante.

— Et ce n’est pas seulement son neveu qu’il a mis à la porte, mais encore le prétendu de sa fille Marian, n’est-ce pas ? dit la jeune Indienne.

— Est-ce que tu prends un méchant plaisir à voir ma peine, s’écria Franck ? Cet Hickmann Holt n’a pas le cœur d’un père, puisqu’il fait le chagrin de Marian.

— Elle t’évite, dit Suvanée, et sans doute tu étais là pour guetter son passage. Écoute, je n’aime pas Holt ; c’est un homme dur ; je n’aime pas beaucoup Lilian. Mais je chéris Marian ; elle est de ma race ; elle s’est montrée toujours bonne pour moi et elle m’a guérie de mes fièvres et soignée dans sa hutte quand les miens me laissaient, sans secours, dans un coin de la forêt, comme un pauvre animal condamné à mourir. Aussi mon cœur est-il à elle… Dis-moi, veux-tu la voir ?

— Si je le veux ! s’écria Franck Wingrove en se dressant debout.

— Eh bien ! elle est à cent pas d’ici, au bord du ruisseau.

La jeune Indienne parlait encore, que le chasseur s’enfonçait dans le fourré, sans même penser à la remercier de son bon office.

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Pendant ce temps-là, le squatter et le maître d’école de Swampville étaient toujours enfermés dans la hutte.

Quelques braises rougissaient dans le foyer. Le squatter s’assit à côté de ce feu expirant, et son visiteur prit place de l’autre côté de la table, sur laquelle on voyait une bouteille pleine de wiskey, deux tasses fêlées, deux pipes et une petite provision de tabac. Tous ces préparatifs avaient été faits à l’avance.

« Vous avez fourni une longue course, John, dit le squatter en soulevant la bouteille, goûtez un peu de wiskey. Désirez-vous le mêler d’eau ?

— Pas d’eau ! répondit laconiquement John Stebbins.

— Vous avez raison ; les marchands en mettent assez dans leurs liqueurs avant de les vendre.