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— En vérité, sœur, je l’ignore ; il n’y a rien chez nous pour la pauvre bête.

— Mais il y a de la chair de daim dans la hutte….

— Je crains que père ne nous permette pas de la donner à Wolf. Il attend quelqu’un à diner. Tu sais qui, Marian ? »

Un sourire espiègle accompagna cette question ; mais il manqua son effet, car Marian répondit en fronçant le sourcil :

« Oui, mais ce quelqu’un-là ne dînera pas avec moi. C’est justement pour cela que je vais sortir avec mon rifle. J’irai chasser pour trouver mon dîner dans les bois, et si j’ai la main malheureuse, je ne mangerai point… Mais ne crains rien, Wolf, si je manque d’appétit, ce n’est point une raison pour que j’oublie que tu as faim… Je ne sais vraiment que donner à cet animal… Qu’en dites-vous, Lill ? Ces busards sont à portée de mon rifle. Je pourrais en tuer un. Mais ces vilaines bêtes ont une chair si coriace qu’un chien lui-même n’en voudrait pas manger.

— Vois, Marian, un écureuil là-bas. Wolf s’accommoderait bien de ce déjeuner ; mais ce serait pitié que de tuer cette jolie petite créature.

— Pas du tout. Cette jolie petite créature est un voleur qui mange notre blé ; en le tuant, je fais justice en deux sens : je punis un larron et je récompense notre chien fidèle. »

Wolf, qui n’avait pas les scrupules de Lilian, s’était déjà élancé sur l’écureuil ; mais c’est une rare chance pour un chien que d’attraper d’un bond un animal aussi leste. L’écureuil s’enfuit, grimpa sur un arbre, s’assit au coude d’une branche élevée, et se mit à célébrer son triomphe en remuant sa queue dressée en panache. Mais, tout occupée de narguer son ennemi qui aboyait piteusement, la pauvre bête ne songea point à masquer son corps qui présentait une cible au rifle. Marian épaula son arme ; le coup partit… et l’écureuil, tombant de son haut perchoir, fit plusieurs culbutes en l’air et vint tomber juste entre les mâchoires affamées de Wolf.

La jeune fille ne parut ni orgueilleuse ni étonnée de son exploit ; c’était sans doute pour elle une habitude de tous les jours que de tirer juste et de faire un massacre des hôtes de la forêt.

« Il te faudra apprendre à tirer, ma chère Lilian, dit-elle à sa sœur.

— Oh ! je n’y aurais ni le goût ni l’adresse.

— Il faut t’y essayer cependant. Cela peut être très utile. Père ne dit-il pas que, du temps des Indiens, chaque jeune fille savait manier un rifle. Que ferais-tu si tu rencontrais un ours dans la forêt ?

— Oh ! comme je courrais vite !

— Eh bien ! pas moi. Cela ne m’est jamais arrivé ; mais, le cas échéant, je ne m’enfuirais pas.

— En vérité, Marian, je ne suis jamais tranquille quand tu cours les bois. J’ai toujours peur que tu rencontres quelque bête féroce qui te dévore. Je ne puis comprendre quel plaisir tu trouves à chasser.

— Oui, nos goûts diffèrent, quoique nous nous aimions tendrement.

— Vrai, tu m’aimes bien, Marian ? dit Lilly en jetant ses bras autour du cou de sa sœur. Ce n’est point parce que tu t’ennuies avec moi que tu cours si souvent la forêt.

— Oh ! Lilly, dit la jeune fille en couvrant de baisers la jolie figure de sa sœur, c’est par malice d’enfant que tu parais douter de mon affection. Tu sais bien que je donnerais ma vie pour sauver la tienne. C’est toi qui es la joie, le bonheur de notre pauvre demeure forestière ; pour ne point partager tes goûts, je n’ai pas moins d’amitié pour toi. Mais que veux-tu ? Tu aimes à lire les livres que ta mère t’a laissés et à regarder les gravures qu’ils renferment. L’héritage que je tiens de ma mère ne contenait rien de pareil. Puisqu’elle était à moitié indienne, il n’y a rien d’extraordinaire à ce que je lui ressemble et que j’aime la vie libre dans les bois. Quant au danger… bah ! bah !… je ne le crains pas. Je n’ai peur d’aucune bête féroce. Ah ! j’ai beaucoup plus à redouter d’une créature à deux pieds que je connais, et je risquerais davantage de rencontrer ce terrible bipède en restant à la maison. »

Ce fut d’un ton amer que la jeune fille prononça ces dernières paroles ; elle rechargea son rifle, et au même instant, les grognements de Wolf annoncèrent l’approche d’un visiteur.

C’était un homme à cheval, âgé d’une trentaine d’années, mince, froid d’aspect, et porteur d’une de ces physionomies qui déplaisent à première vue. Ce n’était pas un étranger que John Stebbins, le maître d’école de Swampville ; il était l’ami du père des deux jeunes filles, venait le visiter souvent, et, de