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— Cela, je vous en demande pardon, colonel, cela est une matière privée.

— Privée et particulière, eh !

— Précisément.

— Alors vous ferez mieux d’en garder le secret pour vous.

— C’était bien mon intention, comme votre perspicacité l’a deviné, colonel, » répondit Édouard Warfield qui tourna sur ses talons et quitta la véranda.

Le capitaine, en approchant du chasseur, vit qu’il souriait tout en achevant de boucler la selle de son cheval. Il avait évidemment entendu la conversation précédente. Aussi l’affaire fut-elle conclue en peu de mots.

« Je vous conduirai très volontiers à la clairière de Holt, dit-il ; mon chemin y mène aussi près qu’un saut d’écureuil. »

Au bout de dix minutes, sa dépense à l’hôtel payée, son arabe sellé, Édouard Warfield quitta le caravansérail de Swampville.


CHAPITRE II
Marian et Lilian. — Le chagrin de Franck Wingrove. — L’ultimatum de John Stebbins.


Six mois avant qu’Édouard Warfield ne se mît en route pour aller prendre possession de la clairière, ce coin de terre présentait les beautés particulières à tous les établissements des pionniers dans les belles forêts vierges de l’Amérique.

Par un beau matin de mai, la clairière était riante sous les rayons du soleil ; l’atmosphère était chargée du parfum des fleurs sauvages ; les abeilles bourdonnaient, en quête de miel ; et les oiseaux chantaient entre deux picorées. Deux jeunes filles sortirent de la hutte du squatter et saluèrent d’un sourire cette scène gracieuse.

Quoique belles toutes les deux et filles du même père, elles ne se ressemblaient pas. L’une d’elles, Marian, était grande et brune, son œil allongé avait la forme oblique des yeux indiens. D’autres contours, d’une élégance fière, rappelaient chez elle le type des Chicassaws, les premiers possesseurs de la forêt. Son costume indiquait par son goût que le sang européen était mêlé dans ses veines au sang indien. Marian était vêtue d’une jupe de homespun commun, rayé de jaune ; le corsage vert, d’une étoffe plus fine, était agrémenté de broderies ; son cou et ses poignets s’entouraient de ces cercles de métal plus ou moins précieux auxquels les femmes chicassaws empruntent leur principale parure. Elle portait un léger rifle. Une corne et une poche à balles, suspendues à l’épaule gauche, pendaient sous son bras droit.

La seconde jeune fille, Lilian, offrait le plus parfait contraste avec cette beauté fière et brune. Elle était à ce point de l’adolescence où six mois vont faire une femme de la jeune créature qui n’était encore qu’une charmante enfant. Toute rose, blonde comme les blés, fraîche et pure comme une églantine de buisson, et timide comme une gazelle, elle paraissait parée dans son simple costume qui se composait d’une robe de homespun ouverte sur la poitrine et d’un large chapeau de paille ; un collier de fausses perles à son cou était sa seule coquetterie, car ses jolis pieds étaient nus, si ceux de sa sœur étaient chaussés du classique mocassin.

Dès que les deux jeunes filles sortirent, tendrement enlacées, de la hutte du squatter, un grand chien décharné, à l’œil sauvage, accourut à elles et fêta spécialement la brune Marian.

« Ah ! Wolf, vieux compagnon, dit-elle, c’est ton déjeuner que tu me demandes. Que pourrions-nous lui donner, Lilian ?