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rappelèrent plus l’ancien continent. Beaucoup de longues étendues de terrain n’avaient point de nom, simplement parce qu’elles n’étaient pas occupées. De nombreuses rivières pourtant étaient baptisées : crique du Daim, crique de la Boue, ou bien du Chat et du Racoon, du grand et du petit Fourchu, ce qui indiquait que les pionniers de la Réserve de l’Ouest n’étaient point chargés du bagage de souvenirs auquel tant de villes des États-Unis doivent leur nom.

Au delà de Dresde, la route n’était plus qu’un sentier à peine tracé dans la forêt ; mais suffisamment indiqué par les signaux peints çà et là sur les arbres. À mesure que le jeune capitaine avançait, il devenait plus curieux d’apprendre de quelque voyageur quelques particularités sur Swampville, ce settlement[1] devant être le point d’appui de ses efforts de future colonisation. Mais, pendant dix longs milles, il ne rencontra pas une créature humaine, et il ne commença à voir passer sur la route des visages noirs ou blancs, nègres conduisant des charrettes à bœufs, cavaliers ou piétons de sa propre race, que lorsqu’il arriva à un mille du settlement.

Édouard Warfleld ne fut pas étonné de trouver si peu de mouvement autour de Swampville, qui était une très nouvelle ville dont le nom même était à peu près inconnu dans tout l’Ouest, excepté aux bureaux du Land-Office. Même dans la Réserve, elle était plutôt connue comme un settlement que comme une cité ; néanmoins Swampville n’était pas un lieu aussi dénué de mouvement commercial que le jeune capitaine se l’imagina pour l’avoir abordée par son côté est, après s’être égaré en chemin et y être arrivé par les bois.

La face de Swampville est tournée vers l’Ouest, et c’est en arrivant dans cette direction, après s’être renseigné à un passant, qu’Édouard Warfleld aperçut l’animation naturelle aux villes un peu civilisées. Des cabanes de bois bordaient la route, entremêlées çà et là de constructions qui affichaient de plus hautes prétentions architecturales. Devant la plus grande de ces dernières, était planté un grand poteau ou plutôt un arbre ayant ses basses branches coupées. Le bouquet de sa cime ombrageait une cage dans laquelle s’agitait toute une tribu de martinets, et au-dessous de la cage était pendu un écriteau sur lequel on lisait le mot hôtel. Il était orné du portrait de Jackson, peint en uniforme continental. Cet hôtel Jackson devait être évidemment le plus confortable de tout Swampville, et Édouard Warfleld s’y arrêta sans hésitation.

Il était déjà trop habitué aux mœurs de l’Ouest pour attendre soit bienvenue, soit assistance, et trop attaché à son cheval arabe pour l’abandonner à des mains inhabiles ; aussi prit-il la peine de le desseller lui-même. Un nègre à demi nu l’aida quelque peu, tout en contemplant de ses larges yeux, blancs d’étonnement, l’uniforme du capitaine, en garçon peu habitué à en voir de semblables dans ces parages.

Au moment où, après avoir installé son arabe dans l’écurie, le capitaine entrait dans la véranda de l’hôtel, la cloche annonçant le souper se fit entendre.

Les convives assis autour de la table d’hôte composaient une troupe très bigarrée. Il y avait là des habits faits avec des couvertures de cheval, des blouses en peau de daim, des chemises en flanelle rouge portées par des hommes n’ayant aucune sorte de veste. Quelques autres étaient vêtus d’une façon plus régulière et presque élégante, car dans tous les nouveaux settlements, les boutiquiers et les gens d’affaires prennent souvent leurs repas à l’hôtel ou à la taverne.

Édouard Warfleld aperçut là quelques « vieux types » à lui connus. Bien qu’il fût certain de n’avoir jamais rencontré dans sa vie un seul personnage de cette réunion, il y en eut un cependant qui attira bientôt son attention d’une manière irrésistible.

C’était un jeune homme de vingt-cinq ans environ, habillé en chasseur, c’est-à-dire vêtu d’une tunique de peau de daim, avec poche à balles et corne à poudre pendant de son épaule, couteau à sa ceinture et mocassins à ses pieds. Une casquette de peau de racoon, qu’il avait accrochée à un porte-manteau en entrant, était sa coiffure.

Édouard Warfleld admira le type de sa beauté mâle, qui ne perdait rien de ses avantages pour être négligée : sa belle chevelure noire tout ondoyante, les contours corrects

  1. Un settlement est un village (littéralement un établissement), formé dans un État encore désert, par la réunion de plusieurs maisons de colons, de squatters qui se sont rapprochés afin de pouvoir se secourir à l’occasion. Peu à peu, le settlement s’agrandit et finit par devenir un centre d’affaires important, et même une grande cité. C’est là l’histoire de plus d’une ville des États-Unis.