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il sera obligé de partir, » a conclu l’agent du Land-Office… Vous voyez, commandant, que j’inaugure ma nouvelle existence sous les auspices les plus favorables. L’ancienne guerre du Texas et la campagne mexicaine m’ont fait assez bon chasseur, mais ne m’ont pas appris l’état de bûcheron. Si petite que soit la clairière ouverte par le squatter, je me félicite de trouver l’œuvre commencée. Eh bien ! commandant, que dites-vous de ma résolution ?

— Elle est d’un homme courageux, mon cher Ned, d’une nature fière et énergique ne voulant devoir rien à personne. Cela ne m’étonne pas de votre part… Mais de quel côté est cette section 9 et votre lot de terre ?

— D’après l’employé, la ville la plus proche est Swampville. Il parait que tout mon terrain est couvert de bois très épais, sauf la clairière que l’on appelle « la clairière de Holt, » du nom du squatter qui l’a défrichée, du moins selon les suppositions de l’agent.

— J’ai entendu parler de ces environs de Swampville ; c’est un des coins les plus fertiles du Tennessee. Vous y trouverez du gibier en abondance. L’ours noir et même la panthère sont communs vers l’Obion et à travers toutes les forêts de cette réserve. Mais à propos, et ce squatter que vous allez déposséder ?… Voilà pour vous une ennuyeuse affaire, mon cher Ned. Ce sont de grossières créatures que ces hommes des bois, très peu au fait des prescriptions légales. Pour eux, possession vaut titre.

— Voulez-vous dire qu’il refusera de me donner mon terrain ?

— Eh ! cela pourrait être s’il appartient à la classe obstinée.

— Mais certainement la loi…

— Vous aidera à le mettre à la porte, c’est ce que vous alliez dire ?… Dans toute autre partie de l’État, vous pourriez compter sur l’assistance légale ; je crains qu’il en soit autrement aux environs de Swampville, si loin de tout centre.

— Alors, il faudra que j’aide à la loi, que j’en sois tout seul le ministre, répondit le jeune capitaine avec chaleur.

— Non, Warfield, répliqua le commandant, je ne serais pas plus disposé que vous à me laisser léser dans mes droits, mais, dans votre cas, la prudence peut seule vous servir.

— Mais alors quel conseil me donnez-vous, commandant !

— Agissez comme d’autres qui avaient comme vous une résolution bien arrêtée, mais plus de prudence qu’il n’en peut entrer dans une jeune et bouillante tête comme la vôtre, mon cher Ned. S’il y a un squatter, et s’il paraît bourru, peu sociable, abordez-le doucement et déclarez-lui vos droits. Beaucoup de ces hommes ont une sorte d’honneur sous de rudes dehors. Louez les améliorations qu’il a faites à votre propriété et offrez-lui une indemnité pour la peine qu’il a eue de la défricher.

— Oh ! ami Blount, s’écria Édouard Warfield en frappant d’un air significatif sur les poches très aplaties de son uniforme, il m’est plus aisé de goûter ce bon conseil que de le suivre.

— Allons ! allons ! nous sommes de vieux camarades, Ned, dit le commandant d’un ton amical. J’espère que vous n’avez point de délicatesse déplacée. Je ne suis pas un Crésus, mais si vous aviez besoin de cent ou deux cents dollars pour acheter une seconde fois votre plantation, je les ai à votre service. Usez de mon bien comme du vôtre.

— Peut-être accepterai-je votre offre généreuse, commandant ; mais cela dépendra des circonstances. Si maître Holt — c’est là, je crois, le nom de mon prédécesseur — se montre raisonnable, je vous emprunterai de quoi payer les quelques arbres qu’il a coupés. S’il fait mine de résister, par Notre-Dame de Guadalupe ! je le mettrai hors de sa clairière…

Le lendemain, Édouard Warfield disait adieu au commandant et se mettait en rout pour gagner la Réserve de l’Ouest. Le bagage du jeune capitaine n’était pas volumineux : deux sacs pendus à la selle de son cheval contenaient tout ce qu’il possédait au monde, y compris ses titres de propriété.

On compte cent milles de Nashville à Swampville, juste trois jours de voyage à cheval. Pour les dix premiers milles, jusqu’à la rivière Harpeth, Édouard Warfield trouva une route excellente, bien macadamisée et bordée de plantations. Sa première station fut Paris, sa seconde Dresde ; en tirant sur la droite, il serait entré en Asie et aurait pu saluer Smyrne et Troie ; en se dirigeant vers le sud-ouest, il aurait traversé le Danemark et Memphis, noms de villes ou de pays peu habitués à être visités par un voyageur à une journée de distance.

Après Dresde, les appellations des cités et des villages devinrent moins classiques et ne