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au quartier, monsieur, dit-il à Armstrong. Cela fait du bruit et ne sert à rien dans une reconnaissance. »

Et comme le jeune homme s’éloignait déjà, un peu mortifié sans nul doute, le colonel ajouta avec bonté :

« C’est une de mes manies, voyez-vous ? Tout le monde ne partage pas mon opinion sur ce point, mais je suis convaincu qu’elle est bonne. Allez, monsieur, vous avez le temps de revenir avant le signal du départ. »

Frank Armstrong salua et, enfourchant le cheval qu’une ordonnance tenait prêt pour lui, il piqua des deux vers le quartier des officiers. À peine fut-il parti, que le commandant, se tournant vers Van Dyck :

« Je ne suis pas fâché de pouvoir vous dire un mot en particulier, fit-il, plus encore en ami qu’en supérieur. C’est un devoir pour moi de traiter tous mes officiers comme autant de fils qui me seraient chers. Voulez-vous me permettre de vous donner un bon conseil ?… » Le lieutenant rougit et balbutia :

« Assurément, commandant, mais j’espère que vous ne croyez pas…

— Non, je ne crois pas votre cas sans ressource. Mais vous êtes sur une pente dangereuse. Monsieur Van Dyck, vous appartenez à une famille opulente, et peut-être pensez-vous pouvoir vous permettre ce qui, à un autre officier, pourrait-coûter son épaulette… Vous vous trompez. Il ne faut pas que je vous revoie dans l’état où vous étiez en arrivant. »

Le malheureux lieutenant ne répondait pas un mot et baissait la tête.

« Comprenez-moi bien, monsieur, reprit son chef. Le passé est le passé, il n’en sera plus question. J’ai levé vos arrêts et je vous ai assigné le commandement de cette petite expédition tout exprès pour vous fournir une occasion d’effacer une impression fâcheuse. Je sais ce que c’est d’être jeune, et je ne m’exagère pas l’importance d’une faute unique. Mais il faut que vous me donniez, ici, votre parole d’honneur de ne pas toucher une goutte d’eau-de-vie tant que vous serez hors du fort… Me la donnez-vous, monsieur ? »

Van Dyck baissait toujours la tête.

« Est-ce une raison, dit-il, parce que je me suis une fois trouvé en défaut pour qu’on me croie capable de manquer à mes devoirs ?… J’étais souffrant avant-hier, mon colonel… Mais naturellement je ne pouvais pas m’excuser sous les armes… Tout ce que je puis dire, c’est que je ferai mon devoir dans cette reconnaissance comme je l’ai toujours fait partout. »

Le commandant Saint-Aure n’ajouta pas un mot et se contenta de jeter sur le lieutenant un regard profond et fin, qui se fondit graduellement dans un froncement de sourcils.

Comme il se retournait, il vit Armstrong arriver à franc étrier, sans le moindre fourreau de sabre, cette fois, qui battit le flanc de sa monture.

« À la bonne heure ! lui cria-t-il aussitôt, voilà comme il faut être avec les Indiens ! Messieurs, je n’ai que peu de chose à vous dire : vous avez reçu mes ordres par écrit. Suivez-les à la lettre. Vous avez pour mandat de reconnaître le pays sur un rayon égal à la distance d’ici au cours de l’Antilope, et à me rapporter le résultat de vos observations. Pas de combat, à moins que vous ne soyez attaqués. Choisissez de préférence la nuit pour vos marches. En toute occasion, imitez la tactique des Indiens en campagne. Il s’agit de découvrir ce qui se trame dans les tribus voisines, si vous pouvez y parvenir. Voilà. »

Il allait les laisser, quand Armstrong lui demanda, non sans un violent effort sur sa timidité naturelle :

« Puis-je vous adresser une question, mon colonel ?

— Certainement, monsieur.

— Je voudrais savoir si, au cas où une occasion se présenterait, en dehors de la lettre de vos instructions, d’obtenir quelque renseignement important, sérieux, il sera permis d’en profiter ? »

Le colonel Saint-Aure porta ses yeux en plein sur ceux du jeune homme, et le regarda avec attention. Sans doute il se dit que la physionomie de Frank Armstrong respirait le courage et l’ardeur la plus généreuse, mais il n’en témoigna rien.

Au lieu de répondre directement à la question qui lui était posée, il s’adressa à Van Dyck.

« Lieutenant, dit-il, rappelez-vous que Flèche-Rouge, cet Indien que vous voyez là le dernier sur la droite, est le plus fin de vos limiers. Beaucoup de prudence dans vos rapports avec ces hommes, monsieur ! Ils sont à la fois d’une extrême susceptibilité pour les moindres offenses et très portés à abuser des caractères faibles. C’est d’eux surtout qu’on peut dire qu’il faut pour les mener une main