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ainsi sur le flanc de la montagne ; ce ne fut que lorsque la barque commença à s’éloigner de la rive, portant deux des quatre survenants, que Quaco reconnut Jacob Jessuron et Chakra dans les deux hommes du bateau.

« Reconnaissez-vous, dit-il à Cingües, votre marchand d’esclaves ? »

Le prince ne répondit que par un geste d’une farouche énergie. Avant que le lieutenant pût intervenir, il mit son fusil en joue et fit feu. Quaco, qui ne voulait pas tuer les deux bandits, mais les prendre vivants, détourna le coup, qui cependant ne fut pas perdu. Au lieu de frapper Jacob Jessuron, les balles coupèrent les pagaies dans la main du batelier.

Chakra poussa un cri de désespoir. Il comprenait le danger auquel cette perte les exposait, son compagnon et lui. La barque, incapable désormais de lutter contre le tourbillon, ne pouvait manquer d’y être engloutie.

Il se jeta à genoux, étendit les bras hors du canot, et battit l’eau de ses deux mains, essayant de disputer la barque au rapide qui l’entraînait.

Cependant les forces du nègre diminuaient visiblement, et le courant, au point où le canot était arrivé, redoublait d’impétuosité. Après avoir lutté quelques minutes, Chakra, convaincu de son impuissance, jeta autour de lui des regards de bête fauve prise au piège.

À ce moment deux hommes baissés sur l’autre rive, jetèrent des cris. « Les chasseurs espagnols, dit le lieutenant. Feu sur ceux-là, camarades, ne les laissons pas échapper une seconde fois. »

Une double détonation se fit entendre, et les chasseurs d’hommes tombèrent foudroyés dans les herbes du rivage.

Cette péripétie, loin d’abattre Chakra, lui rendit toute sa farouche énergie. Cessant de battre l’eau avec ses mains, il se pencha vers Jacob Jessuron qui paraissait terrifié, et le saisissant par les épaules, comme une araignée gigantesque qui s’empare de sa proie, il le lança par-dessus bord pour décharger d’autant l’embarcation. Un cri rauque s’éleva, suivi du bruit sourd de l’eau se refermant sur la victime. Mais Chakra avait perdu du temps. Avant qu’il n’eût repris son équilibre, la barque était entraînée dans le plus fort du tourbillon. Le secours même des pagaies n’aurait pu l’en détourner. Dix secondes après, elle glissait dans la cataracte avec la rapidité de la flèche. Par un effort désespéré, le nègre saisit un instant un arbre qui s’étendait horizontalement entre les roches ; mais l’arbre n’était pas assez solide pour résister avec ce fardeau à la violence du courant. Les racines cédèrent. L’homme et son embarcation furent emportés dans l’abîme. Jessuron n’y avait précédé son complice que de quelques instants, et les corps des deux criminels surnagèrent l’un près de l’autre, tournoyant lentement dans le remous formé par la cascade.


CHAPITRE XXII
L’HEUREUSE-VALLÉE


À une année de distance de ces tristes événements, Mount-Welcome était sorti de ses cendres et brillait d’une nouvelle splendeur. On aurait dit que l’ancienne habitation avait été rétablie par quelque enchantement, tant celle-ci ressemblait à celle qui avait été incendiée.

Une troupe nombreuse de serviteurs nègres était dispersée dans les champs de cannes ; à l’air de contentement, à la figure honnête, au