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quel but, mais ce sont eux certainement. Je connais la voix de ce scélérat d’Adam… Ah ! et en voici une autre plus rude et plus menaçante encore… C’est, je l’assure, le cri de ce démon de Chakra. Ecoutez, maître Vaughan, mes hommes de l’escorte, vous m’entendez ! sont peut-être venus jusqu’à Mount-Welcome, et ce sont eux qu’on attaque. Restez-là, je vais combattre avec eux ces bandits.

— Arrêtez, Cubissa, je ne puis vous laisser aller seul. Vous vous êtes exposé pour les miens, j’ai droit à une revanche. Ma chère Kate, cachez-vous dans ce fourré ; je viendrai vous y reprendre dans Tin quart d’heure.

— Oh ! Herbert, ne me quittez pas ! s’écria Kate en s’attachant au bras de son cousin.

— Kate, lui dit-il avec un ton de doux reproche, voudriez-vous que je devinsse un lâche et un ingrat !…

— Non, dit-elle avec un accent énergique ; allez, Herbert, faites votre devoir ! »

Et elle s’enfonça dans le taillis que son cousin lui avait indiqué comme refuge.

En quelques secondes, les deux jeunes gens eurent longé le mur de clôture, passé la barrière qu’ils trouvèrent grande ouverte et traversé le jardin.

Mais, chose étrange ! les cris des hommes, les gémissements des femmes avaient cessé aussi soudainement qu’ils s’étalent fait entendre.

Tout était redevenu silencieux ; on eût dit que la terre venait de s’ouvrir pour engloutir ceux dont les hurlements et les appels retentissaient tout à l’heure si brusquement.

Herbert et Cubissa passèrent devant les ruines fumantes de l’habitation et arrivèrent sur la plate-forme qui lui faisait face. Un spectacle lugubre les y attendait.

C’était le brancard sur lequel reposait le custos. Trois cadavres de nègres gisaient à côté. C’étaient les Marrons que Quaco avait laissés pour la garde de ses prisonniers, les chasseurs espagnols.

Ceux-ci avaient été délivrés, les cordes et les bâtons que le lieutenant avait employés pour les entraver étaient encore épars sur le sol. Le retour des bandits était expliqué, ils étaient venus délivrer leurs complices.

Un peu rassurés, Herbert et Cubissa se disposaient à aller rejoindre la jeune créole quand ils virent une forme blanche passer comme un sylphe à travers les arbres dans le sentier qui aboutissait au mur du jardin.

C’était Kate qui avait voulu venir partager les dangers de ses deux amis. Avant que ceux-ci eussent eu le temps de s’opposer à son dessein, elle franchit la barrière, s’avança vers eux et poussa une exclamation joyeuse en les apercevant sains et saufs.

Tout aussitôt, et prompt comme un écho, un second cri, mais celui-ci déchirant et désespéré, s’échappa de ses lèvres… Elle venait d’apercevoir le cadavre de son père.

La jeune fille tomba éperdue sur la civière et couvrit de baisers et de larmes le front glacé de Loftus Vaughan. Toute consolation étant impossible, Herbert respecta cette effusion de douleur suprême, et ce ne fut que lorsque Kate, épuisée de forces, s’affaissa à demi inanimée sur le corps de son père, qu’il l’arracha à ce triste spectacle pour l’emporter dans le kiosque du jardin, selon les conseils de M. Trusty qui était enfin accouru.

Là, Kate reçut les soins de Yola qui revint des cases des nègres, où elle s’était réfugiée, dès qu’elle eut entendu les cris de sa jeune maîtresse. Pendant qu’elle lui faisait reprendre l’usage de ses sens, M. Trusty, s’adressant à Herbert comme au maître de la maison, déplorait les événements de la nuit, et lui rendait compte de l’impossibilité où il s’était trouvé déporter du secours à l’habitation.

« Maître Vaughan, conclut-il d’une voix embarrassée, tous mes nègres se sont enfuis comme un troupeau de moutons devant l’attaque de ces bandits. Je n’ai pu obtenir d’eux un peu de courage, ni par prières, ni par promesses, ni par menaces. Qu’aurais-je pu faire tout seul contre les sauvages qui nous attaquaient ? Le gentleman anglais, M. Smythje s’est esquivé le premier, et le voilà parti pour Montego-Bay sur la première monture qu’il a trouvée sous sa main après l’incendie. J’ose espérer, maître Vaughan que vous ne rendrez pas un seul homme responsable de la lâcheté de tous les autres, et que vous me conserverez mon poste de directeur de la plantation.

— En vérité, monsieur Trusty, lui répondit Herbert avec étonnement, vous me parlez comme si j’étais le maître de Mount-Welcome, c’est à ma cousine qu’il vous faudra adresser vos excuses. »

M. Trusty hocha la tête : « C’est vous, mon sieur Vaughan, lui dit-il avec un accent de déférence, qui êtes l’héritier légal du custos,