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rez à faire verser les sabres au magasin avant de partir en reconnaissance… »

Là-dessus le commandant mit son cheval au trot et s’éloigna avec ses aides de camp, laissant le major à la tête de sa colonne.

Mais, à peine avait-il fait un quart de mille qu’il revint sur ses pas, et, d’une voix toute différente :

« Major ! un mot, s’il vous plaît ! cria-t-il en souriant. Westbrooke, mon vieux camarade, je n’ai pas oublié le capitaine qui commandait un détachement du 12e à la bataille de Bull-Run, et qui vint là si à propos me donner, par son exemple, ma première leçon de terrain. Je sais ce que je vous dois, quoique la fortune ait plus favorisé mon avancement que le vôtre… »

Le major, vivement touché de ces bonnes paroles, tendit la main au commandant qui la serra d’une étreinte vigoureuse et repartit.

Suivi de ses deux officiers, il rentrait au fort bride abattue, quand, tout à coup, l’Indien qui était couché au travers du chemin se releva presque sous les naseaux des chevaux et se jeta de côté avec un cri de terreur. Justement le sous-lieutenant Hewitt arrivait sur lui et l’aurait probablement renversé, si, d’un mouvement rapide et presque involontaire, le Peau-Rouge n’avait jeté sa couverture à la tête du cheval, qui fit un violent écart et faillit désarçonner son cavalier.

Hewitt, furieux, rassembla les rênes, maîtrisa sa monture et la lança sur l’Indien, dont il marbra la peau d’un grand coup de fouet.

» En voilà toujours un, dit-il, qui ne recommencera pas sa plaisanterie ! »

Le commandant, emporté par son cheval, était déjà rentré au fort et n’avait pas assisté à cette scène ; mais Peyton, qui s’était arrêté, ne put s’empêcher de dire à son camarade :

« Vous avez été bien dur pour ce pauvre diable, Hewitt ! Je ne crois pas qu’il ait jeté sa couverture avec l’intention d’effrayer votre cheval. Cet homme que vous venez de frapper ainsi a été jadis un brave guerrier…

Et l’adjudant ajouta d’un ton attristé :

« Qui vous dit que vous vaudriez mieux qu’eux si vous étiez aussi misérable ?… » Peyton avait-il enfin réussi à éveiller un remords ou un sentiment d’humanité dans la conscience de son compagnon ? C’est probable, car le sous-lieutenant ne souffla plus mot et rentra dans le fort, la mine assez contrite. Deux jours après l’arrivée de la colonne au fort Lookout, le colonel Saint-Aure, qui n’était pas homme à laisser ses troupes se rouiller dans l’inaction, avait déjà assigné un rôle actif à chaque escadron, et c’est ainsi que le lieutenant Cornélius Van Dyck et le sous-lieutenant Armstrong se trouvèrent de service pour une expédition nocturne.

Il s’agissait d’une reconnaissance à une certaine distance du fort. Van Dyck, qui avait déjà trois ans d’expérience, devait diriger les opérations du détachement, renforcé d’ailleurs d’une douzaine d’éclaireurs indigènes, Indiens Pawnies et autres, pour servir de guides.

Le commandant Saint-Aure avait pour règle absolue de ne jamais laisser sortir du fort le moindre détachement sans l’avoir en personne passé en revue, et la précaution lui était tout naturellement indiquée avec des troupes qu’il ne connaissait pas encore. Il était près de onze heures du soir quand il se rendit à cet effet sur le terrain de manœuvre.

Tout dans le fort était sombre et paisible, car l’extinction des feux avait sonné depuis longtemps déjà, et la lune ne jetait pas encore sa clarté sur le petit corps expéditionnaire rangé en ligne.

Il n’y avait pas en tout plus d’une trentaine de dragons. Devant la masse immobile qu’ils formaient, un falot porté par une ordonnance projetait dans la nuit une traînée de lumière, et, non loin-du falot, on pouvait voir comme une étincelle rouge qui changeait de place à chaque instant. Cette étincelle n’était autre que le feu d’un cigare serré entre les dents du commandant Saint-Aure, tandis qu’il inspectait soigneusement chaque homme l’un après l’autre. Il ne disait pas un mot, mais, de temps à autre, faisait claquer ses doigts suivant son habitude.

Derrière lui, à distance respectueuse, se tenaient Van Dyck et Armstrong : celui-ci remarquable par un grand sabre de cavalerie, tandis que les dragons étaient simplement armés de leur carabine et d’une paire de revolvers suspendus sur la hanche, selon l’usage américain. Ce manque de cliquetis habituel des fourreaux de sabre faisait même un effet triste et contribuait à donner à ces hommes, dans la nuit, l’air d’autant de cavaliers fantômes.

L’inspection ne fut pas plus tôt terminée que le commandant, se rapprochant des deux officiers :

« Vous feriez mieux de laisser votre sabre