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— Que faisiez-vous ?… Pourquoi écoutiez-vous ?

— Oh ! Chakra, ce n’était pas mon intention. Je venais…

— Vous êtes arrivée avant nous ? vous nous avez entendus ?

— Oh ! Chakra, ce n’est pas ma faute ! J’aurais bien voulu m’en aller…

— Alors vous n’entendrez pas un mot de plus… Vous ne vous en irez pas d’ici… vous y resterez ! »

Et le myal-man se précipita sur la mulâtresse en faisant entendre un rugissement de bête féroce qui fond sur sa proie.

Une minute ne s’était pas écoulée que la misérable créature tombait lourdement au milieu des buissons.

« Restez-là… dit le féroce nègre. Maintenant l’on ne craindra plus vos bavardages ! » Et le meurtrier s’enveloppant de son manteau s’éloigna de sa victime avec autant de calme que si sa conscience n’eût pas été chargée d’un nouveau crime.


CHAPITRE XIX
LA VENGEANCE DE CHAKRA


Le jour paraissait lorsque Chakra rentra dans son antre ; c’était pour lui le moment du repos.

Il avait faim cependant, après ses courses de la journée et de la nuit ; il tira d’abord d’un coin de sa hutte une marmite qui contenait les restes d’un pepper-pot ; il s’en servit une portion qu’il mangea froide et qu’il arrosa de rhum, après quoi il se jeta sur la couche de bambous si brusquement que les roseaux plièrent sous son poids. Une protubérance dans le tronc de l’arbre lui servait de traversin, et quelques poignées de coton formaient son oreiller.

Le monstre dormait étendu sur le dos, la bouche ouverte et les bras pendant à terre ; de ses narines contractées s’échappait un ronflement sonore qu’accompagnait un souffle formidable ; on eût dit la respiration d’un hippopotame.

Il ne s’éveilla qu’à la nuit. La hutte était sombre, et Chakra reconnut, à travers les interstices de la porte de bambous, que le crépuscule descendait rapidement. Le cri du butor sur la lagune, la plainte du potoo mêlée au gémissement de la cataracte et le sifflement de l’air frais étaient autant de voix qui l’avertissaient que l’heure d’agir était venue.

Il alluma du feu, fit chauffer la marmite et prit son repas, trois opérations qui ne lui demandèrent pas beaucoup de temps ; après quoi il Se leva et fureta dans sa hutte en cherchant quelque chose.

« Préparons le signal, se disait-il. Par bonheur, il n’y aura pas de lune cette nuit avant minuit ; après, je lui permets de briller comme le soleil. Il fait assez sombre pour qu’Adam voie mon signal, et mon affaire de Mount-Welcome n’en réussira que mieux. Ah ! voilà la lampe enfin ! »

Tout en parlant ainsi, le nègre tira d’un coin la cosse d’une citrouille, de la forme d’un œuf à peu près, mais aussi grosse qu’un melon ; elle figurait assez bien une de ces lanternes qui ne donnent de lumière que d’un seul côté.

Après un examen attentif, Chakra en parut satisfait. Il s’occupa ensuite à réunir plusieurs objets nécessaires à son expédition nocturne : un long bâton, une corde, un grand couteau et un pistolet qu’il chargea avec soin. Le couteau et le pistolet furent attachés derrière un ceinturon qu’il avait passé sous la peau de son kaross.