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Quand il eut terminé son ascension, le myal-man s’arrêta et consulta le ciel. L’abaissement d’Orion sur la mer argentée lui apprit que bientôt toute étoile aurait disparu de la voûte céleste.

« Une couple d’heures tout au plus, dit-il ; aller au Trou-du-Spectre et de là au roc pour leur parler, je n’aurais pas le temps. Il faut à Adam et à ses hommes, qui doivent m’aider dans le reste de mon expédition, au moins une heure pour grimper là-bas, et alors le jour commencera à poindre… Il faut y renoncer… l’affaire doit s’exécuter la nuit, sans cela nous serions suivis, et l’on découvrirait peut-être le secret de ma retraite.

« Hum ! murmura-t-il après un temps de réflexion, il est fâcheux que je ne sois pas arrivé deux heures plus tôt ; j’aurais tout fini cette nuit… Bah ! peu importe ! La nuit de demain sera aussi bonne, et elle sera tout entière à nous. Probablement on ne ramènera le corps du custos que dans deux ou trois jours, mais si l’on apprend sa mort tout de suite, cela ne nuira pas à mon projet… La maison sera bouleversée… Eh bien ! j’ai juste le temps maintenant d’aller au penn du Juif et de retourner au Trou-du-Spectre avant le jour. Ce vieux pécheur de Jessuron doit être impatient de savoir comment tout s’est passé, et je ne serai pas fâché, moi, de toucher mes cinquante pounds. »

El le myal-man s’enfonça dans une partie de la forêt où il allait faire des rencontres inattendues.

Yola ne voyait d’habitude son frère à la clairière du ceïba que deux fois par semaine ; mais elle avait été si inquiète de la disparition de Cubissa la nuit précédente et des suppositions que Quaco avait faites sur son absence, qui avait, selon lui, couleur d’expédition projetée, qu’elle osa se risquer la nuit suivante dans la forêt, poursuivie par une vague inquiétude.

Elle n’eut garde d’y trouver le prince Cingües qui, suivant les ordres du capitaine, se tenait assez loin de là, sur un autre point de la forêt, avec toute une troupe de Marrons, prête à accourir au premier appel du cor de Cubissa ; mais Yola était brave et elle résolut d’attendre quelques heures dans la clairière. Sans savoir rien des terribles événements qui se préparaient, elle sentait une crise dans l’air et elle préférait passer la nuit, s’il le fallait, à l’ombre du ceïba en courant la chance de voir Cubissa ou Cingües, que de se plonger dans le tourment des conjectures à la plantation.

Yola ne se doutait pas qu’elle avait été suivie dans la forêt par celle qui épiait sans cesse ses démarches dans le but de la desservir auprès de sa jeune maîtresse. Cynthia s’était souvent promis d’espionner les courses nocturnes que Yola faisait dans la forêt ; mais elle-même, passant la plupart de ses nuits à descendre au Trou-du-Spectre, elle n’avait pu, jusque-là, mettre ce projet à exécution.

Ayant sa liberté ayant avoir rempli tous les ordres du myal-man, Cynthia avait donc suivi sa rivale, et pendant que celle-ci, rêveuse au pied du ceïba, berçait sa longue attente des souvenirs de son cher pays, la mulâtresse, accroupie dans le taillis, épiait la jeune Foolah.

Plusieurs heures se passèrent ainsi, et ce fut un soulagement pour les deux femmes, que cette longue veillée avait fatiguées, lorsqu’un bruissement débranchés annonça l’approche de quelqu’un ; mais à leur grand désappointement, la personne qui s’avançait n’était pas celle qu’elles avaient espérée. Presque en même temps parut du côté opposé un autre individu qui s’arrêta en face du premier arrivant, à peu de distance du ceïba.

Ils se trouvaient sur la clairière, la lune les éclairait. L’un était inconnu à Yola et d’un aspect repoussant ; quant à l’autre, sa vue l’effraya tellement qu’elle se glissa derrière l’énorme tronc de l’arbre et s’enfonça dans le taillis, résolue à regagner au plus vite Mount-Welcome.

Cynthia ne put suivre cet exemple prudent. Les deux hommes s’étaient arrêtés tout près de l’endroit où elle était cachée ; il lui était, impossible de sortir du bouquet d’arbres que la clairière entourait de tous côtés, sans être aperçue d’eux.

La mulâtresse était l’alliée de ces deux hommes, mais elle ne les redoutait pas moins pour cela ; et quand ils eurent entamé la conversation, elle eut un motif de plus pour les craindre : elle redouta qu’ils ne lui pardonnassent pas de les avoir entendus.

Mieux eût valu pour la mulâtresse se déclarer hardiment ; mais ne croyant pas être découverte, elle resta immobile dans sa retraite.

Les deux individus qui venaient d’arriver étaient Jessuron et le myal-man. Ils s’abor-