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Au même instant une ordonnance amenait enfin un superbe cheval rouan tout sellé.

Le commandant Saint-Aure avait la passion des beaux chevaux. Celui-ci ne paraissait pas des plus commodes et fit quelques difficultés pour se laisser monter. Mais il avait affaire à forte partie et dut, après une minute ou deux, s’avouer vaincu. Le colonel était du très petit nombre de cavaliers qui non seulement montent parfaitement bien, mais savent se tenir en selle avec grâce. Il semblait vissé sur la sienne, et, au milieu des courbettes et des ruades de sa monture, suivait si bien tous ses mouvements qu’il semblait faire corps avec elle.

Peyton et Hewit avaient mis le pied à l’étrier en même temps que lui, et, l’instant d’après, tous les trois lâchant la bride à leurs chevaux, allaient ventre à terre à travers la plaine.

La colonne avait fait halte, et sur un signal donné par les trompettes, les rangs de cavaliers s’étaient formés en ligne.

Au moment où le commandant Saint-Aure et ses deux aides de camp arrivèrent sur eux ils formaient une masse compacte et immobile, toute blanche de poussière. Sur le front de la colonne se tenait le major Westbrooke, sabre au poing.

À peine le colonel avait-il arrêté son cheval à vingt pas des nouveaux venus, qu’on entendit un commandement sec et bref.

« Tirez… sabres !.. Présentez… sabres ! »

Il y eut un cliquetis d’acier, une ligne d’éclairs, puis un silence et comme une haie de lames nues brillant au soleil couchant sur le front de la ligne.

Le major Westbrooke salua de l’épée et dit :

« Colonel, j’ai l’honneur de me mettre à vos ordres. Voulez-vous inspecter la colonne ?

— C’est pour cela que je suis venu, dit le commandant en saluant du chapeau.

— Attention !… Portez armes !… » cria l’officier de dragons.

Puis il se mit à la suite du commandant Saint-Aure, qui passa lentement sur le front des troupes.

Ces dragons étaient pour la plupart des gardes de bonne mine, à la face bronzée et à l’air résolu, mais qui répondaient assez peu, au moins par la tenue, à l’idée qu’un Européen peut se faire d’un soldat.

L’un des escadrons était coiffé de feutres noirs, l’autre de chapeaux de feutre gris, un troisième de chapeaux de paille, le quatrième de casquettes de toile. Les blouses bleues étaient à la vérité uniformes. Mais la chaussure présentait autant de variété que la coiffure ; les uns portaient des bottes à l’écuyère, les autres des guêtres de cuir, tandis qu’un certain nombre de fantaisistes avaient simplement fourré leur pantalon dans des demi-bottes.

Les chevaux étaient légèrement chargés, mais assez fatigués en apparence de leur long voyage de quatre cent cinquante milles en trois semaines. La longue file des chariots était rangée à l’arrière-garde.

Quant aux officiers, ils étaient, s’il est possible, encore plus mal accoutrés que les hommes. Le capitaine Gruntey, par exemple, était vêtu d’une vieille vareuse de laine, jadis bleue, et qui maintenant tirait sur le rouge, quoique d’ailleurs monté sur un fort beau cheval bai.

À sa droite, la masse épaisse de Cornélius Van Dyck, son lieutenant, paraissait avoir quelque peine à rester en selle, et montrait, au-dessus d’une blouse grise, une grosse figure congestionnée par des libations, que la longueur de la dernière étape ne suffisait pas à justifier.

Le sous-lieutenant Frank Armstrong, qui se tenait sur la gauche, était peul-être le seul officier de toute la ligne qui se fût astreint à l’uniforme de petite tenue prescrit par les règlements.

Le commandant Saint-Aure eut un geste d’approbation en passant devant lui, mais il fronça le sourcil en apercevant l’étrange figure de Van Dyck.

« Major ! fit-il aussitôt d’un ton sévère, j’espère que vos officiers se tiendront pour dit que ceci n’est pas de mise au fort Lookout !… Capitaine ! en mettant pied à terre, veuillez faire prendre les arrêts à cet officier… »

La face du capitaine Gruntey s’allongea considérablement tandis qu’il répondait :

« Fort bien, colonel ! »

Le commandant poursuivit sa revue sous l’impression de ce pénible incident. Quand il fut revenu au bout de la ligne, il salua froidement le major Westbrooke en lui disant : « Établissez vos hommes sous le mur du nord, major. Vous trouverez là de l’eau en abondance et des provisions de bois préparées par mon ordre… J’inspecterai le train au campement… Adieu, monsieur. Vous au-