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CHAPITRE XVIII
LA RÉCOMPENSE D’UNE COMPLICITÉ


Quoique plus bas placé dans la hiérarchie, le nègre fut le premier à parler.

« Halte ! dit-il, vous ne mettrez pas un pied dehors, tant que nous ne saurons pas ce que vous avez fait dedans. Pas un geste, ou vous aurez tout à l’heure une once de plomb dans la cervelle !

— Rendez-vous, commanda Cubissa d’une voix impérieuse. Rentrez vos machetes et obéissez… ou vous payerez de votre vie une résistance inutile.

— S’il n’v a rien contre vous, dit à son tour Herbert, il ne vous sera fait aucun mal. Mais vous comptez sur vos talons, ajouta-t-il en remarquant que les deux scélérats se retournaient vers le fond de la hutte, comme s’ils espéraient se sauver par là. N’espérez pas fuir. Si agiles que vous soyez, nous vous attraperions toujours. J’ai deux fusils avec moi : chacun peut atteindre un oiseau au vol. Montrez-nous vos dos, et ils seront proprement troués, je vous le garantis.

— Carajo ! que nous voulez-nous ? cria Manuel d’un ton insolent.

— Quel crime avons-nous commis pour que vous fassiez tant d’embarras ? ajouta l’autre chasseur.

— C’est justement ce que nous voulons savoir, répliqua le capitaine marron.

— C’est bien simple, dit Andrès ; nous nous rendions à Savannah, mon camarade et moi… »

— Taisez-vous, bavard ! lui cria Quaco avec impatience en poussant le canon de son fusil à un pouce des côtes de l’Espagnol. Le cap’taine vous dit de baisser vos fourchettes à rotin et de vous rendre, obéissez à l’instant ou sans cela… »

Les deux Espagnols ainsi menacés laissèrent tomber leurs machetes.

« Maintenant, mes braves, fit le lieutenant, préparez-vous à être garrotés et tenez-vous tranquilles jusqu’à ce que je sois allé chercher des cordes. »

Les deux coquins se soumirent à cet ordre. Quaco ramassa les deux machetes et les mit hors de la portée des scélérats ; alors, tendant son fusil à Cubissa qui devait veiller avec Herbert les prisonniers, il sortit de la hutte et s’enfonça sous les arbres.

Il revint presque aussitôt, traînant avec lui une plante grimpante qui ressemblait à un paquet de cordes, et deux bâtons d’environ trois pieds de longueur.

Pendant ce temps, Herbert et Cubissa tenaient leurs fusils toujours pointés sur les Espagnols, car il était évident que ceux-ci n’avaient pas renoncé à l’idée de s’échapper ; il faisait nuit maintenant et l’obscurité pouvait les favoriser.

Les Marrons étaient décidés à ne leur laisser aucune chance d’évasion. Bien qu’ils ignorassent encore le terrible spectacle qui les attendait au fond de la hutte, ils avaient de fortes raisons de soupçonner les Espagnols de quelque crime projeté, sinon accompli.

Le cheval attaché à la porte, la hâte, l’effroi avec lesquels les chasseurs s’enfuyaient de la case étaient des indices bien faits pour fortifier leurs pressentiments.

Quaco lia les deux bandits poignet contre poignet, cheville contre cheville, avec une dextérité qui aurait fait honneur au geôlier le plus expérimenté. Une longue habitude l’avait rendu passé maître dans cet art que tout nègre marron doit posséder.

Les Marrons et Herbert pénétrèrent ensuite dans la hutte, en essayant de percer du regard l’obscurité qui y régnait, il leur sembla apercevoir quelque chose comme un corps étendu sur une couche assez basse.