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rons à notre aise quand l’affaire sera faite. Je me demande toujours s’ils sont là tous les deux. Ce qui m’étonne, c’est de ne pas découvrir le cheval bai du nègre.

— Ah ! reprit Andrès frappé d’une idée soudaine, n’aurait-il pas pu aller à la plantation pour y porter quelque avis ? Un accident peut être arrivé à la monture du custos. Souvenez-vous que cet homme que nous avons rencontré en route et qui nous a parlé des grands pistolets de M. Vaughan, nous a dit aussi que le custos avait l’air de souffrir beaucoup. Il peut s’être arrêté ici, malade.

— Alors c’est notre moment, si la peau noire est absente, car Plute est plus à craindre dans une lutte que son maître. Voyons derrière la hutte si le cheval est par là, fouillons les buissons, et posez les pieds, Andrès, comme si vous marchiez sur des œufs.

Les deux chasseurs firent le tour du taillis sans y rien trouver. Ce qui acheva de leur ôter toute inquiétude, ce furent les empreintes du cheval de Plute partant de la hutte et allant vers la plantation de Content. Il leur restait à savoir si la hutte était occupée.

Les chasseurs s’en approchèrent avec précaution et regardèrent à travers les lattes disjointes.

L’obscurité qui régnait à l’intérieur les empêcha d’abord de rien distinguer ; peu à peu cependant leurs yeux s’y accoutumèrent, et reconnurent une banquette de bambous sur laquelle le corps d’un homme semblait être étendu ; un manteau sombre jeté sur lui, empêchait de voir son visage. L’homme gardait une immobilité absolue ; il devait dormir.

Par terre, à côté de la couche, ils virent un chapeau et une paire de pistolets. Le voyageur avait sans doute voulu se débarrasser de ses armes avant de se livrer au repos.

Les assassins échangèrent un regard d’intelligence ; le sort les favorisait. Poussés par la même pensée, ils tirèrent leurs machetes et se précipitèrent sur la porte qui céda.

« Tue-le ! Tue-le ! criaient les deux bandits pour s’encourager et en même temps, ils enfoncèrent leurs sabres dans le corps toujours immobile. »

Convaincus qu’ils avaient achevé leur tâche sanglante, les assassins se disposaient à partir, attirés qu’ils étaient par les valises, quand ils remarquèrent l’étrange tranquillité de leur victime.

L’homme n’avait pas fait un mouvement ni poussé un soupir ! Peut-être avait-il été atteint au cœur du premier coup, Andrès ayant dirigé son arme dans cette intention. Mais, même dans ce cas, la mort n’aurait pu être instantanée. En outre, les sabres des deux bandits ne portaient pas une seule tache de sang.

« C’est bizarre, camarade, dit Manuel. Je croirais presque… Levez donc le manteau que nous voyions son visage. »

Andrès s’approcha de la couche et découvrit la face de l’homme.

Ses traits étaient rigides, ses yeux vitreux comme ceux que la vie a abandonnés depuis quelques heures.

L’Espagnol poussa un cri d’épouvante, laissa retomber le manteau et s’élança vers la porte, suivi de son compagnon.

« Nous avons tué un mort, s’écria-t-il fou de terreur ! »

Tous les deux allaient sans doute s’enfuir sans plus songer à la valise du mort. Andrès était déjà sur le seuil, lorsque quelque chose le fit se rejeter en arrière avec une telle précipitation qu’il faillit culbuter son camarade.

C’étaient trois hommes qui, placés en triangle à cinq pas de la porte, interceptaient le passage ; chacun tenait un fusil dont le canon creux et sombre menaçait les assassins.

Les trois hommes étaient de différentes couleurs, et les chasseurs reconnurent aussitôt Herbert Vaughan, Cubissa, capitaine des Marrons, et Quaco, son lieutenant.