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CHAPITRE XVII
UN DOUBLE CRIME


Loftus Vaughan, après avoir suivi pendant quelque temps un chemin de traverse appelé Carrion-Crow, avait atteint la grande route qui s’étend de Montego-Bay à Savannah-la-Mer. C’était dans cette ville qu’il comptait s’embarquer pour un des ports ayant les plus faciles communications avec la capitale. En outre, c’était à Savannah-la-Mer que se tenaient les assises du district occidental de l’île, c’est-à-dire du comté de Cornwal, d’où dépendait Montego-Bay.

Savannah était donc le siège de justice où toutes les affaires importantes devaient être envoyées. Le procès que le custos voulait intenter à Jessuron contenait des accusations trop graves pour ne pas être discutées en cour d’assises. Il ne s’agissait pas en effet, d’une simple malversation, mais de la saisie frauduleuse de vingt-quatre esclaves.

Loftus Vaughan n’avait pas encore décidé en quels termes l’accusation serait posée, mais il savait trouver à Savannah les meilleurs conseillers du comté.

La journée était d’une chaleur accablante ; le soleil dardait ses rayons sur le chemin crayeux par lequel passait Loftus Vaughan, ce qui rendait le voyage très fatigant.

Déjà indisposé en quittant sa maison, le custos se sentait d’heure en heure plus malade ; il éprouvait des frissons suivis d’accès brûlants, une soif que rien ne pouvait satisfaire et des soulèvements d’estomac presque continuels.

Le voyageur aurait fait halte avant la nuit s’il avait trouvé un toit pour s’abriter. Pendant la première partie du jour, il avait traversé les districts populeux ; mais n’étant pas encore aussi souffrant, il ne s’était arrêté que pour faire remplir la gourde que portait son domestique.

Ce ne fut que dans l’après-midi que les symptômes devinrent alarmants, mais M. Vaughan se trouvait engagé dans une partie inhabitée de l’île. Quelques milles encore, et il atteindrait la plantation de Content ; le propriétaire était son ami, et l’un des hommes les plus hospitaliers de la Jamaïque.

En traçant son itinéraire, le custos avait marqué cet endroit pour une étape de son voyage et il comptait y passer la nuit ; dans cet espoir, il avançait toujours, malgré sa faiblesse croissante.

Le soleil se couchait lorsqu’il arriva en vue de Content ; il l’aperçut du haut d’une colline qu’il venait de gagner au moment où l’orbe embrasé s’enfonçait dans la mer de Carihbeau, au-dessus du cap de Point-Negrice.

Dans la vallée qui s’étendait à ses pieds, on distinguait à travers la brume empourprée du crépuscule, la demeure du planteur, entourée des cases pittoresques des nègres.

On entendait le bourdonnement joyeux des voix ; hommes et femmes aux vêtements éclatants s’agitaient autour de l’habitation.

Le custos contemplait ce tableau d’un œil éteint. Les sons arrivaient confusément à son oreille. Comme le marin naufragé regarde la terre qu’il n’atteindra jamais, ainsi Loftus Vaughan contemplait la vallée de Content, car il n’espérait plus la gagner cette nuit, à moins d’y être transporté. Il ne se tenait plus qu’avec peine sur sa selle ; ses forces étaient à bout… Tout à coup, il se laissa glisser et tomba dans les bras de son groom.

Sur le bord de la route et à demi cachée par les arbres, s’élevait une hutte entourée d’un terrain inculte, autrefois sans doute la demeure d’un esclave. C’est là que le vieux Plute transporta le custos. Il y avait dans la case une espèce de banquette en bambous, couche