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tout, sur les plantations, courait un souffle de liberté et d’émancipation.

Cet espoir enhardissant les esclaves, ils n’avaient plus la même soumission craintive qu’auparavant. Leurs révoltes, rudement châtiées, étaient fréquentes et se terminaient trop souvent par des scènes de meurtre et d’incendie. Plusieurs bandes de fugitifs établies dans les montagnes y défiaient les autorités, et s’y livraient à des représailles inouïes.

En de telles circonstances, la mulâtresse s’embarrassait peu des prescriptions du maître ; aussi ne tarda-t-elle pas à se rendre à l’invitation du Juif. Elle lui apprit le départ du custos, et se vanta d’avoir su lui faire prendre le philtre d’Obi, juste au moment où il quittait Mount-Welcome.

Cette nouvelle ravit Jessuron, qui n’était pas sans crainte au sujet de la mission confiée à ses estafiers ; si le philtre opérait vite, leur intervention serait inutile.

Cynthia apprit ensuite à Jessuron qu’après le départ du custos, elle avait vu le myal-man, que celui-ci lui avait donné rendez-vous à l’endroit ordinaire, afin d’être informé par elle de ce qui se passerait à la plantation.

La mulâtresse ne pouvait assurer que Chakra eût suivi le custos ; cependant, au lieu de se diriger vers le Jumbé-roc en la quittant, il était parti par le chemin de Savannah-la-Mer.

Après avoir reçu sa récompense pour les nouvelles qu’elle apportait, Cynthia retourna à Mount-Welcome.

Rassuré sur quelques points, le Juif restait inquiet au sujet d’Herbert, et un peu avant le coucher du soleil, il commanda de nouvelles recherches. L’habile nègre qui avait découvert le matin les premières traces, reconnut une des empreintes pour l’avoir souvent remarquée en errant à la suite de son troupeau, dans les sentiers de la forêt.

« C’est le pied de Cubissa, le capitaine des Marrons, dit-il à son maître. »

On apporta la pipe trouvée dans le hamac d’Herbert, c’était un objet assez reconnaissable. Le fourneau était en fer et le tuyau en os d’ibis. Le nègre l’avait vue cent fois aux lèvres du Marron.

Loin d’être tranquillisé par cette certitude, Jessuron en ressentit de nouvelles anxiétés en se souvenant de l’insistance avec laquelle Herbert s’était informé du sort du fugitif, le prince Foolah.

La révélation de la vérité pouvait avoir des conséquences fâcheuses. Il était à craindre que le jeune Anglais n’abandonnât une maison dont l’hospitalité lui deviendrait suspecte. Puis, une fois sur la voie des menées de Jessuron, Herbert devenu défiant, ne pouvait-il pas provoquer une instruction judiciaire sur la mort de Loftus Vaughan et revendiquer son héritage pour lui tout seul ?

Telles étaient les craintes de Jessuron qui, étant incapable de sentiments droits et généreux, était par conséquent disposé à attribuer à autrui des vues aussi égoïstes et aussi cupides que les siennes. Il passa toute la journée et une partie de la nuit dans ces réflexions. L’inquiétude de l’avenir, et non le remords, chassait le sommeil de ses yeux infatigables.

Un peu avant le jour, il résolut d’aller aux informations.

Selon toute probabilité, Chakra devait être revenu au Trou-du-Spectre et le Juif partit pour s’y rendre dans les dernières heures de la nuit.