Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/37

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Je serai heureux de voir M. Mark Meagher, dit le commandant avec douceur après avoir parcouru la dépêche : Voulez-vous me l’amener, mon cher Peyton ? »

Deux minutes plus tard, Mark Meagher était introduit en sa présence par le lieutenant Peyton, qui les laissa tous deux en conférence.


CHAPITRE V
LES RENFORTS

Le colonel commandant Saint-Aure, coiffé de son grand chapeau blanc et l’épée au côté, se tient à la porte du fort et regarde au loin dans la plaine couverte d’un court gazon jaune, et brûlée par le soleil. Un appel de clairon vient de lui annoncer l’approche des renforts attendus, et, en compagnie de l’adjudant Peyton, qui tient par la bride un grand cheval noir, il dirige sa lorgnette vers une colonne de cavalerie qui s’avance, toute brillante d’acier dans le soleil couchant, suivie d’une longue file blanche de voitures du train.

À une faible distance, vers la droite du fort, on peut voir deux huttes coniques couvertes de peaux de buffles et faciles à reconnaître pour des wigwams indiens, ou plutôt pour des teepees, comme on les nomme dans le Grand-Ouest.

Tout auprès, une demi-douzaine de marmots entièrement nus et pourvus de ventres pareils à des pots de terre qui ont souvent vu le feu, leurs cheveux nattés sur les yeux, se roulent dans la poussière. Deux ou trois vieilles femmes, vraies sorcières de Macbeth, bavardent accroupies auprès de la dépouille fraîche d’un buffle, qu’elles grattent avec des omoplates qui ont naguère appartenu au défunt propriétaire de la dépouille en question.

Un grand diable d’Indien à l’air paresseux dort, ou peut-être fait semblant de dormir au soleil, roulé dans sa couverture, à cinquante pas à peine de l’entrée du fort.

À vrai dire, il n’y a rien de bien séduisant ou de pittoresque dans le tableau que forment là ces « enfants de la prairie sans bornes. » Ce sont simplement des êtres misérables et malpropres, un peu plus laids que des Bohémiens, espèces de mendiants, toujours errants autour des établissements européens, prêts à tout pour se procurer un peu d’eau-de-vie, derniers spécimens d’une race malheureuse qui aura bientôt disparu de la surface de la terre.

Le commandant Saint-Aure ne leur donnait pas plus d’attention qu’il n’aurait fait à des mouches, et la’plupart de ses soldats étaient, comme lui, si habitués à de tels spectacles qu’ils ne les remarquaient même plus.

« C’est sans doute la colonne de Westbrooke, dit-il à l’adjudant en abaissant sa lorgnette. Combien d’hommes disait la dépêche ?

— Cinq escadrons du 12e dragons, colonel. Charlton ne doit en amener que deux du fort Laramie, avec trois compagnies du 44e de ligne.

— Oui, c’est bien cela, reprit le commandant qui lorgnait de nouveau les arrivants. Mais où est donc ce maraud d’Elijals ? En finira-t-il de seller mon cheval ?

— Le voici ! » dit un jeune sous-lieutenant, qui sortait du poste, et qui reprit d’un ton insinuant :

« Voudriez-vous me permettre de vous escorter, mon colonel ?

— Volontiers, mon cher Hewitt, si vous n’avez rien de mieux à faire, » répliqua le commandant,

Hewit ne faisait qu’arriver de West-Point et était encore dans la ferveur des premiers enthousiasmes.