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n’aurait pas même gardé la foulure d’un sabot de cheval. Cubissa conclut de sa découverte que si le jeune Anglais s’était égaré, il ne devait pas être très éloigné de la clairière, puis-qu’il avait suivi assez longtemps la bonne voie.

« Peut-être a-t-il atteint le ceïba, et m’attend-il maintenant, » pensa le Marron.

Animé par cet espoir, et aussi par la contrariété que lui causaient ses dispositions mal prises, il repartit pour le lieu du rendez-vous, où il ne trouva personne.

Dès que Cubissa eut repris haleine, il se mit à appeler, espérant que sa voix guiderait le jeune homme si, selon sa conjecture, celui-ci n’était pas loin de la clairière ; mais il usa vainement de toute l’énergie de ses poumons.

« Allons ! se dit-il, j’ai un meilleur moyen de lui faire connaître ma présence. J’oubliais mon cor. C’est un signal qu’on peut entendre d’un mille. »

Et le Marron tira de son instrument un appel sonore et prolongé.

Trois sons aigus lui répondirent.

« C’est Quaco, se dit le capitaine ; a-t-il déjà quelque chose à me dire pour qu’il revienne si vite de son embuscade sur la route de Savannah-la-Mer ? Mais master Vaughan ne viendra-t-il donc pas ?… Il faut que je recommence… »

Et Cubissa, portant de nouveau son cor à ses lèvres, en tira trois notes d’une intonation différente.

Quaco ne répondit à aucune, mais il parut en personne au bout de quelques minutes.

Les traits de Quaco n’avaient pas leur expression ordinaire ; ses yeux étaient effarés, ses gestes animés, et son allure dénotait quelque grave événement. La peau du colosse était couverte d’une sueur blanche qui paraissait filtrer à travers chaque pore de son noir épiderme, ce que pouvait expliquer une longue marche sous un soleil devenu brûlant depuis une heure.

« Vous m’apportez des nouvelles, Quaco ? lui dit Cubissa, du ton digne, mais bienveillant, d’un supérieur qui sait se faire à la fois aimer et estimer. Auriez-vous aperçu ce jeune Anglais du penn ? Je l’attends, mais je crains qu’il ne se soit égaré dans la forêt.

— Point d’Anglais, cap’taine, mais le custos Vaughan.

— Crambo ! vous avez rencontré le custos hors de chez lui ? où et quand ? »

Ce matin, à environ quatre milles de la traverse de Carrion-Crow. Il n’avait avec lui que le vieux Plute, le jockey de Mount-Welcome. »

L’emphase avec laquelle le nègre appuya sur sa réponse fit pressentir à Cubissa que Quaco avait autre chose à lui apprendre.

« Et c’est tout ? lui demanda-t-il.

— Oh ! non, cap’taine, répondit le lieutenant, les joues gonflées par l’étonnante communication qu’il allait faire, et les yeux roulant comme deux billes blanches sous ses paupières : J’ai rencontré un revenant !

— Un revenant ! Allons donc !

— Le même que l’autre jour ; oui, je le jure par le grand Accompong, j’ai vu le fantôme du vieux Chakra ! »

Le capitaine fit un brusque mouvement que le nègre attribua à la surprise causée par cette nouvelle.

« Et où donc ? demanda Cubissa.

— Sur le chemin, à une centaine de mètres du carrefour. Le vieux scélérat ne peut pas dormir tranquille dans sa tombe… il faut toujours qu’il rôde dans les bois.

— À quelle distance était-il de l’endroit où vous avez rencontré Loftus Vaughan ?

— À un quart de mille ; il n’a fait que paraître et disparaître dans les broussailles ; car c’était au point du jour, le coq avait chanté, et cela a peut-être envoyé le revenant faire un plongeon dans la rivière.

— Il ne faut pas attendre plus longtemps master Herbert ; nous allons partir tout de suite, Quaco.

— Arrêtez, cap’taine, je ne vous ai pas tout dit. Deux milles plus loin, après le revenant, je me suis trouvé en face de ces deux compères du diable, ces damnés Espagnols du Juif.

— Ah ! les Espagnols ! s’écria Cubissa dans l’esprit duquel se fit une soudaine lumière. Tous deux après le custos ! Venez vite, Quaco ; j’ai mon fusil, vous avez le vôtre, nous en aurons besoin avant la nuit.

— J’ai aussi le mien, cria une voix qui partait du fourré. » Et au même instant, Herbert sortit du bois près des deux Marrons.

« De quoi s’agit-il donc ? demanda-t-il. Je regrette de vous avoir retardés en me perdant dans la forêt ; mais j’arrive à temps, puisque vous n’êtes point partis.

— Nous n’avons plus le loisir de nous arrêter pour vous conter l’affaire, maître Vaughan ; je vous la dirai en chemin, car il nous faut