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CHAPITRE XVI
ENNEMIS ET SAUVEURS AGISSANT DE LEUR MIEUX


Le soleil commençait à dorer les flancs brillants du Jumbé-roc, et ses rayons n’avaient pas encore atteint la vallée, lorsque des lumières, jaillissant à travers les jalousies de Mount-Welcome, annoncèrent que les habitants de la maison étaient déjà levés. La chambre de Smythje seule restait dans l’obscurité ; le dandy dormait.

Malgré l’heure matinale, le planteur et sa fille étaient réunis dans la salle où le déjeuner venait d’être servi. Loftus Vaughan seul y faisait honneur ; Kate n’était là que pour lui tenir compagnie au moment du départ et pour lui servir son café.

Le custos portait un costume en étoffe épaisse, à larges poches, avec des bottes à l’écuyère auxquelles étaient bouclés des éperons d’argent. Un ceinturon retenait à sa ceinture une paire de pistolets, bonne précaution en cas de rencontre de quelque nègre maraudeur.

Deux chevaux qu’on entendait piaffer dans la cour attendaient le voyageur, ainsi que le nègre en houppelande qui les maintenait par la bride.

M. Vaughan se mettait en route, on le sait, pour exécuter un projet longtemps remis, pour accomplir un devoir qui, négligé, menaçait de mettre en péril l’avenir de sa fille ; il se rendait à la capitale de l’île pour demander à l’Assemblée l’acte spécial qu’elle pouvait seule accorder, et qui devait prévenir les effets du code noir, par lequel Kate était exclue de l’héritage de son père. Six lignes de l’Assemblée, signées du gouverneur, lèveraient l’empêchement légal.

Si M. Vaughan avait été un simple teneur de livres, ou même un marchand de fortune médiocre, le succès de son entreprise lui aurait laissé quelque doute ; mais le propriétaire de biens considérables, l’ami d’une vingtaine de membres de l’Assemblée, devait n’avoir qu’à demander pour obtenir.

Malgré tant de raisons d’espérer, le custos était triste ; cette perspective d’un voyage fatigant le contrariait. Outre qu’il était habitué à une vie de bien-être, depuis quelques jours sa santé était altérée ; il avait perdu l’appétit, et une soif ardente, qu’il ne pouvait apaiser, le consumait du matin au soir.

Le docteur de la plantation avait été étonné de ces symptômes, auxquels ses prescriptions n’avaient apporté aucun soulagement. L’affection morbide semblait si obstinée que le malade aurait renoncé à se mettre en route, sans l’espoir de trouver à la ville un médecin qui pût comprendre son mal et le guérir.

Une autre préoccupation pesait encore sur l’esprit du custos, plus lourdement peut-être que tout le reste. Depuis la mort de Chakra, ou plutôt depuis qu’il avait cru apercevoir une nuit son fantôme dans un sentier de la forêt, une crainte superstitieuse travaillait l’esprit de Loftus Vaughan. Il avait souvent médité sur cette apparition et avait évité depuis ce temps le Jumbé-roc et ses environs.

Cette impression se fût peut-être effacée avec le temps, si un autre fait absolument du même genre n’eût été rapporté au custos le jour de l’accident de Smythje dans la forêt et n’eût ravivé ses sourdes terreurs.

Dans l’après-midi de ce jour, Quashie déclara qu’en passant près d’un endroit appelé le « Duppy’s hole », pour revenir à l’habitation, il avait vu le fantôme du vieux Chakra.

Le négrillon, qui n’avait pas les raisons qu’avait Loftus Vaughan pour craindre un tel revenant, assura la chose en claquant des dents et les yeux retournés dans leur orbite. Ses camarades s’étaient moqués de lui ; mais