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frapper tout à coup, et il se dirigea avec précaution du côté de la galerie où le hamac était suspendu.

« Je suppose, murmura-t-il entre ses dents, que le jeune gentleman est encore endormi. Gentleman, vraiment ! car s’il ne l’est pas encore, il le sera avant la nuit prochaine. Allons ! je ne le réveillerai pas ; les riches gentlemen n’aiment pas à être dérangés dans leur sommeil… Ach ! »

Cette exclamation s’échappa des lèvres du Juif lorsque, en tournant l’angle de la véranda, il eut aperçu le hamac.

« Déjà levé ! » se dit-il, et allant ouvrir sans façon la porte de la chambre du jeune Anglais, il la trouva aussi vide que le hamac.

« Il est sorti en emportant son fusil, continua Jessuron stupéfait. Comment a-t-il passé sans que je l’entendisse ? Où diable le jeune garçon a-t-il pu aller si matin ? »

Le Juif essaya de se rassurer en pensant qu’Herbert avait sans doute eu l’intention de chasser ; mais, dans ce cas, comment avait-il pu oublier sa gibecière ? L’inquiétude de Jessuron augmenta quand la fille de service, en détachant le hamac, en fit tomber une pipe et une noix de coco. Herbert ne fumait jamais la pipe, cet objet ne pouvait lui appartenir ; quant à la noix de coco, elle devait avoir été détachée de l’arbre qui dominait la galerie. Sur le tronc du cocotier on trouva des traces indiquant que quelqu’un y avait grimpé récemment.

Ce n’était pas à coup sûr Herbert qui était monté dans le cocotier pour lancer de là des projectiles dans son hamac. Il avait dû se lever et partir après avoir reçu ce signal ; mais d’où donc et dans quel but lui avait-on expédié un émissaire si mystérieux ?

Le Juif envoya battre la campagne aux environs du penn, afin de connaître par les traces laissées, de quel côté Herbert avait dirigé sa promenade.

L’un des nègres employés à cet effet vint annoncer un fait important : dans la partie du terrain marécageux située en dehors du jardin, il avait découvert les traces du jeune Anglais allant dans la direction des montagnes, et, près d’elles, les empreintes deux fois répétées des pieds d’un autre homme, ce qui prouvait que celui-ci avait dû venir et s’en retourner.

Le nègre était un chercheur de pistes dont on ne pouvait mettre l’habileté en doute ; aussi le Juif éprouva-t-il une impression des plus désagréables en entendant ce rapport. Jessuron s’inquiétait sans savoir pourquoi, comme toutes les consciences troublées.

Évidemment, Herbert n’avait rien pu pénétrer de ses projets contre le custos ; mais comment se faisait-il que le jeune homme eût quitté le penn juste au moment où s’accomplissait la mission des chasseurs espagnols ?

Le retour de Blue-Dick fit diversion ; il annonça à son maître que le custos avait quitté Mount-Welcome dès le point du jour.

« Bon ! dit Jessuron, mais où est son neveu ? »

Blue-Dick avait vu Cynthia et avait pu lui glisser un mot à l’oreille. La mulâtresse devait se rendre au penn aussitôt qu’elle trouverait le moyen de s’échapper de la plantation.

« Bon ! répéta le Juif, mais où s’est caché master Herbert ?… »

Et plus le soir s’avançait, plus les nuages s’amoncelaient sur le front du marchand d’esclaves.