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CHAPITRE XV
L’ABSENCE MYSTÉRIEUSE


Cubissa hésita un instant sur la conduite à tenir. Pouvant être surpris d’un moment à l’autre, il se serait décidé à descendre du cocotier pour courir tout seul à Mount-Welcome, s’il n’avait été retenu par la singulière répugnance qu’ont tous les hommes résolus, à dévier du plan qu’ils se sont une fois tracé. Du reste, Cubissa ne pensait pas que le péril qui menaçait le custos fût si proche, car, s’il eût soupçonné que le départ des deux Espagnols avait pour but la vengeance de Jessuron, il eût abandonné toute idée d’attendre le moment favorable à une communication avec Herbert, pour courir avertir Loftus Vaughan du guet-apens préparé contre lui.

Au moment où Cubissa hésitait encore, le dormeur se retourna en bâillant sur son hamac.

« Il va s’éveiller ! » pensa le Marron.

Mais le jeune Anglais se contenta de s’appuyer la tête sur le bras dans une pose plus propice au sommeil.

« Quel ennui ! murmura Cubissa… Si seulement je pouvais l’appeler ; mais il est probable que le vieux corbeau m’entendrait et non pas lui. Je vais jeter quelque chose dans le hamac ; cela l’éveillera peut-être. »

Cubissa tira sa pipe, le seul objet disponible qu’il possédât, et il la lança, après avoir visé avec soin. La pipe tomba sur la poitrine du jeune homme ; mais la secousse fut trop légère pour l’éveiller.

« Crambo ! il dort comme un hibou à midi ? Que puis-je faire ? Si je jette mon machete, je me prive de cette arme, et qui sait si je n’en aurai pas besoin avant qu’il puisse me la rapporter ? Ah ! l’une de ces noix de coco, voilà ce qu’il me faut ; ce sera assez lourd pour le sortir de son engourdissement. »

Le Marron détacha une des énormes noix de l’arbre. Après avoir soupesé le fruit pour juger de sa pesanteur, il lança le projectile que les bords du hamac empêchèrent heureusement de rouler sur le parquet, car ce bruit aurait éveillé le dormeur de la chaise.

Herbert atteint bondit sur sa couche, mais son sang-froid britannique retint sur ses lèvres l’exclamation prête à lui échapper.

« D’où tombe cette noix ? » murmura-t-il en levant les yeux pour trouver une réponse à sa question.

Dans la lumière encore indécise de l’aube, il aperçut le cocotier qui s’étendait majestueusement au-dessus de lui ; il connaissait l’arbre et chaque ligne de son contour ; mais certaine silhouette sombre se montrant au sommet attira son attention. Il faisait assez jour pour qu’il distinguât la figure de son hôte de la forêt, le capitaine Cubissa.

Il allait témoigner sa surprise quand le Marron lui imposa silence par un geste :

« De la prudence, maître Vaughan, dit-il à voix basse ; levez-vous et suivez-moi dans la forêt. J’ai pour vous des nouvelles de vie et de mort. Dépêchez-vous, et, au nom de votre salut, qu’il ne vous voie pas !

— Qui donc ? demanda Herbert du même ton discret.

— Regardez, reprit le Marron en lui montrant Jessuron toujours endormi sur sa chaise. Vous me trouverez dans la clairière, sous le cotonnier. Pas une minute à perdre, ceux qui doivent vous être chers sont en danger. »

Après avoir dit ces paroles, le Marron se laissa glisser à terre, et prenant aussitôt le galop, il disparut dans les secondes pousses de la plantation à sucre.

Herbert Vaughan n’hésita pas à suivre le conseil de son ami Cubissa, sans en comprendre en rien le sens toutefois. Une seule per-