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CHAPITRE XIV
UNE MISSION POUR LES CHASSEURS D’HOMMES


En quittant le Trou-du-Spectre, Jacob Jessuron s’était dirigé vers sa demeure. Si avancée que fût la nuit, il ne semblait pas que le sommeil fût pour rien dans sa hâte de rentrer chez lui ; ses yeux étaient grands ouverts, et on aurait pu y lire une expression anxieuse et réfléchie.

Les phrases hachées qui s’échappaient de ses lèvres, tandis qu’il avançait sous les arbres, prouvaient que son mécontentement durait encore. Les assurances de Chakra, qui avaient d’abord calmé ses craintes, ne lui donnaient plus maintenant aucune sécurité : lui-même avait si souvent manqué à ses promesses envers le myal-man qu’il craignait que celui-ci ne prît sa revanche en cette occasion ; même lorsque le Juif se fiait à la haine de Chakra contre le custos, son imagination se torturait à trouver des impossibilités à la réussite de l’attentat.

« Le myal-man, se disait-il, peut se tromper sur l’infaillibilité de sa drogue. La dose sera-t-elle assez forte ? Cynthia ne reculera-t-elle pas devant le danger auquel elle s’expose en la donnant à son maître ?… L’heure matinale à laquelle part le voyageur ne sera-t-elle pas un obstacle à l’administration du breuvage ?… Et si le custos, ayant conçu des soupçons, refusait de se laisser faire ?

« Il y a loin de la coupe aux lèvres, répéta plusieurs fois le Juif, dont c’était le proverbe favori. Mais aussi pourquoi me lier à ce vieux nègre exalté, qui a fini par croire à ces sortilèges à force d’en imposer à tous ces stupides sectateurs d’Obi ?… N’aurai-je pas pu faire la chose par moi-même ? N’ai-je pas chez moi ?… Oui, les chasseurs espagnols, c’est cela, j’ai trouvé. Ce sont juste les gens qu’il me faut, et ils valent cent philtres d’Obi ! Maintenant que j’y pense, c’est le seul plan à suivre, il n’y en a pas de plus sûr. Ah ! custos, cette fois vous ne m’échapperez pas. »

Le Juif hâta le pas et, au lieu de rentrer dans son habitation, près de laquelle il était arrivé, il traversa l’arrière-cour du penn, ouvrit une seconde porte, et se retrouva dans les champs. Là, il s’arrêta une minute pour s’assurer qu’il n’y avait pas de rôdeurs dans les environs.

Rassuré sur ce point, il se remit en route.

À trois ou quatre cents mètres de la barrière extérieure, s’élevait une cabine isolée, presque entièrement cachée sous les arbres. Cinq minutes suffirent à Jessuron pour y arriver, et une fois devant la porte, il y frappa avec le bout de son parapluie.

« Qui est là ? demanda en langue espagnole une voix qui partait de l’intérieur.

— Manuel, c’est moi, votre maître, répondit le Juif. Dépêchez-vous. J’ai à vous parler d’affaires importantes. »

À ce moment, celui qu’on appelait Manuel ouvrit la porte, et parut sur le seuil de la cabine. Jessuron le prit par le bras et rentra dans l’habitation avec lui.

La conversation qui suivit eut pour but de régler l’assassinat de Loftus Vaughan. D’après le plan tracé par Jessuron, les deux Espagnols devaient guetter le custos dans quelque défilé de la forêt, n’importe où, pourvu qu’ils remplissent leur mission.

Cinquante livres en bonne monnaie courante, telle fut la récompense offerte et acceptée.

Moins de vingt minutes après être entré dans la cabine, le Juif en ressortit et reprit d’un pas vif et allègre le chemin de sa maison, pour y trouver enfin quelques instants d’un repos qu’il avait bien gagné assurément.