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Juif le mit même sur la trace des moyens par lesquels l’esclave condamné n’avait point péri sur le Jumbé-roc.

Le Marron se plaça de manière à surveiller les mouvements du canot qui passait en ce moment au milieu des buissons et des hautes herbes, au pied du rocher.

Un bruit de voix arriva bientôt jusqu’à lui ; il distingua celles de Chakra, du Juif et de la mulâtresse, chacun prenant à son tour la parole ; mais le bruit de la cascade l’empêcha, malgré la finesse de son ouïe, de distinguer ce qu’ils disaient.

Le silence se fit ; puis l’embarcation reparut au milieu du lac. Deux personnes seulement l’occupaient : Chakra et Jessuron. La femme avait été laissée au pied du rocher.

Cubissa remarqua cette circonstance qui l’obligeait à renoncer au projet qu’il avait formé d’abord, c’était de suivre le myal-man jusqu’à son repaire en traversant le lac à la nage ; mais maintenant que Cynthia lui barrait le seul chemin qu’il pût prendre, il lui devenait impossible d’arriver à la lagune sans être aperçu.

Il ne lui restait plus qu’à attendre, sur la montagne, le retour des conspirateurs ; le Juif et Chakra ne devaient s’être réunis que pour combiner quelque méchant complot, et il ne renonçait pas à l’espoir de le découvrir et peut-être de le faire échouer.

il réfléchissait sur le plan à adopter quand il entendit quelque bruit au-dessous de lui ; on semblait se frayer passage à travers les buissons bordant le précipice.

S’appuyant à une forte branche, le Marron se pencha au-dessus du gouffre et il aperçut le madras bariolé qui servait de coiffure à Cynthia. La mulâtresse gravissait l’escalier d’arbres que Cubissa avait déjà remarqué.

Sans attendre qu’elle eût fini son ascension, il s’enfonça dans le taillis, en se couchant sur le sol, pour voir la direction qu’elle allait prendre.

Une fois sur la crête du rocher, la mulâtresse s’arrêta un moment pour assujettir à son bras une corbeille dont le couvercle en-tr’ouvert laissait passer le goulot d’une bouteille ; puis, après avoir inspecté les environs, elle s’enfonça dans la forêt.

Cubissa jugea inutile de la suivre. Cynthia ne devait être qu’un comparse dans le drame préparé par le Juif et Chakra, et c’étaient ceux-ci qu’il importait d’épier ; aussi le Marron descendit-il le sentier que la mulâtresse venait de gravir, et en quelques secondes, il se trouva au bord du lac.

C’eût été une tâche périlleuse pour un autre que le Marron d’avoir à passer à la nage une lagune traversée, tourmentée par un rapide ; mais Cubissa possédait l’agilité, le sang-froid nécessaires à son existence de chasseur, et, après s’être assuré que la côte était libre, il se laissa aller dans l’eau, en ayant soin de se tenir dans l’ombre projetée par le rocher et de ne se trahir par aucun bruit. Il toucha terre sans avoir été découvert.

La moitié supérieure de la ravine était chargée d’arbres touffus sous lesquels régnait une obscurité aussi profonde que s’il n’eût pas fait de lune ; seulement çà et là, à travers une éclaircie, quelques rayons parvenaient à se glisser jusqu’à terre.

Cubissa supposa, avec raison, qu’il existait un chemin à partir de l’endroit où le canot était amarré, et son premier soin fut de le chercher. Ayant sondé du regard toute la rive, il aperçut l’embarcation attachée à un arbre. La lune, frappant à cet endroit, éclairait un sentier qui s’enfonçait dans le taillis.

Le Marron s’y engagea résolument, mais avec prudence, s’arrêtant de temps en temps pour écouter ; mais il n’entendait que le grondement de la cascade supérieure dont il approchait maintenant. Il y avait, en face de la chute d’eau, un espace où les arbres étaient un peu clairsemés ; il s’y arrêta pour reconnaître les lieux en se demandant s’il ne faisait pas fausse route.

Son examen ne fut pas long, car il aperçut tout à coup des jets de lumière s’échappant à travers les interstices d’une sorte de grillage ; c’était la porte en bambous de la hutte du myal-man, d’où partaient les voix de ceux que le Marron venait épier.

Cubissa se blottit silencieusement sous le cotonnier, tout près du jambage de la porte.

Les deux hommes parlaient à haute voix, n’imaginant pas qu’ils dussent prendre aucune précaution dans ce lieu inaccessible. Cubissa les voyait l’un et l’autre parfaitement, les interstices des bambous permettant à son regard de plonger dans l’intérieur de la hutte.

Le Juif, fatigué de sa longue marche, était assis sur le cadre qui servait de lit, tandis que le nègre s’appuyait contre les racines de l’arbre formant une des parois de sa demeure.