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n’étaient autres que Jessuron et Cynthia. La lune les éclairait en plein, et le Marron prêta l’oreille à ce qu’ils disaient à haute voix, car ils croyaient la clairière inhabitée à cette heure de nuit.

« Vous ne m’avez pas dit, Cynthia, pourquoi il vous envoie vers moi, dit Jessuron.

— Pour que vous sachiez que maître Vaughan part en voyage demain matin ; j’ai fait sa valise ; il va à la ville espagnole de l’autre côté de l’île.

— Ah ! je ne craignais que cela ! s’écria le Juif en frappant du pied. Venez, fille, venez, si cette nouvelle est vraie, il n’y a pas un instant à perdre. »

Tous deux s’éloignèrent à pas pressés. À peine avaient-ils disparu que Cubissa dit à Yola :

« Ce vilain corbeau a de méchants projets contre M. Vaughan. Où diable vont-ils ? Pourquoi s’éloignent-ils du penn Jessuron ? Je vais les suivre pour démêler ce mystère. Dites à votre frère de m’attendre ici, ma chère Yola. »

Le Marron se mit à la poursuite des deux complices. L’ombre gigantesque des arbres permettait à Cubissa d’avancer sans trop courir le risque d’être découvert. Il pouvait presque marcher sur les talons de ceux qu’il épiait. D’ailleurs, le Juif était trop préoccupé ce soir-là pour être soupçonneux.

« Oh ! oh ! se dit le capitaine tout à coup, ils quittent le chemin du Jumbé-roc, c’est au Trou-du-Spectre qu’ils vont. Eh bien ! Je ne comprends pas ce qu’ils vont chercher dans cette gorge sans issue. N’importe ! Il faut voir afin de déjouer leurs machinations si elles sont malfaisantes. »

Les conjectures du Marron furent justifiées ; le Juif et la mulâtresse atteignirent le bord du précipice et y firent halte. Cubissa se blottit dans le fourré. Il était à peine caché qu’un sifflement frappa ses oreilles ; c’était évidemment un signal donné par les conspirateurs.

Le capitaine surveillait leurs mouvements et regardait leurs sombres silhouettes se dessiner sur le ciel, lorsqu’ils s’enfoncèrent tout à coup sous terre, comme si quelque trappe se fût ouverte pour les recevoir dans l’intérieur du sol. Le Marron se demanda comment ils avaient pu disparaître ; mais il tenta le chemin, et alla jusqu’au bord du précipice. Alors il reconnut le sentier qui serpentait entre les broussailles, jusqu’au fond de la gorge, mais son attention fut attirée tout à coup vers la lagune. Sur cette nappe argentée comme un miroir dans son cadre de sombre acajou se mouvait un canot. Une forme humaine accroupie dans l’embarcation la conduisait.

Cubissa avait déjà aperçu cet être hideux dans ses courses nocturnes à travers la forêt ; mais, superstitieux comme tous les hommes de couleur, il l’avait pris pour le spectre de Chakra, et il avait fui devant cette apparition ; l’action qu’il lui voyait faire n’étant pas d’un fantôme, le Marron recula d’horreur en reconnaissant qu’il avait devant lui Chakra bien vivant, ressuscité peut-être par le pouvoir d’Obi !


CHAPITRE XIII
ÉTRANGES DÉCOUVERTES


Cubissa, s’il ne pouvait échapper aux instincts superstitieux de sa race, était trop intelligent pour ne pas les surmonter à l’aide du raisonnement. Au bout de quelques minutes, bien qu’il ne s’expliquât pas comment Chakra avait survécu à son supplice, il se rendit bien compte de la réalité de l’existence du myal-man, et l’alliance de celui-ci avec le