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vous m’aiderez à cela, n’est-ce pas, Cynthia ?

— Et comment ? demanda la femme d’une voix tremblante.

— Vous l’apprendrez… quand il en sera temps. Obi ne veut pas agir encore. Vous reviendrez quand vous verrez le signal sur l’arbre. Jusque-là gardez bien mon secret. Peu de personnes savent que Chakra existe… Les autres ne connaissent que le myal-man au masque.

— Je sais me taire, Chakra.

— Je vous crois ; mais, si vous manquiez de discrétion, vous auriez à vous en repentir… Maintenant, fille, laissez-moi ; j’attends quelqu’un et il ne serait pas bon pour vous d’être surprise ici. »

C’était dans une de ces courses nocturnes où les esclaves trouvent une compensation à leur assujettissement du jour que Cynthia avait aperçu devant elle le fantôme de Chakra. Tandis qu’elle rappelait ses forces pour s’enfuir, les longs bras du revenant supposé l’avaient retenue, et elle avait été dupe du conte que le prêtre d’Obi faisait aux adeptes de cette superstition, au sujet de sa puissance sur la vie et la mort.

Ce n’était pas le hasard qui les avait mis en présence ; Chakra avait longtemps cherché l’occasion de voir Cynthia, qui pouvait aider à ses projets de vengeance.

La haine du nègre contre Loftus Vaughan était aveugle et implacable, comme tous les sentiments que ne balancent pas, dans une âme ignorante, les principes d’une morale éclairée ; aussi Chakra poursuivait-il ses projets de vengeance sans aucun trouble de conscience.

Quant à son étrange résurrection, le dieu qui l’y avait aidé n’avait été autre que le juif Jessuron. L’humanité n’avait été pour rien dans le sentiment qui avait porté celui-ci à sauver le criminel. Quoi qu’il en fut, les magasins du marchand d’esclaves avaient fourni ce corps qui, attaché au palmier, fut chargé de représenter pour tous le squelette du myal-man.

Chakra n’avait point tardé à réunir sous un autre nom un certain nombre d’adeptes qu’il ne recevait que masqué. Quoique sa prétendue résurrection datât d’une année, peu de personnes connaissaient son existence ; il ne s’aventurait d’ailleurs dans les forêts qu’avec des précautions infinies ; mais les environs du Jumbé-roc et du Trou-du-Spectre éloignant les rôdeurs superstitieux, c’était là que le sorcier officiait habituellement.


CHAPITRE XI
LE PACTE D’OBI


Après avoir reconduit Cynthia, le myal-man rentra dans sa hutte. La visite de la mulâtresse lui avait causé sans doute une vive satisfaction, car il se frotta les mains en faisant entendre un rire qui fut répercuté par l’écho des rochers environnants.

Ces sons expiraient au loin lorsqu’un sifflement aigu partit du sommet du rocher, juste au-dessus de la hutte.

Sans plus de retard, le batelier, aussi noir que Caron en personne, retourna à son canot et encore une fois le conduisit à travers le lac.

Quand l’embarcation arriva au pied de la roche, la lune qui brillait montra dans l’homme qui l’attendait sur la rive le juif Jessuron. Sans prononcer un mot de bienvenue, celui-ci se laissa glisser dans le canot.

« Pas si lourdement, maître Jacob, dit le nègre, j’ai déjà de la peine à nous tenir hors du courant. Si nous nous laissions entraîner, malheur à vous.

— Il y a donc du danger, dit le Juif. Je vais me faire aussi léger qu’une plume. »

À ces mots, le marchand d’esclaves déposa