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L’accoutrement de cet individu grotesque et repoussant n’appartenait à la civilisation que par une paire de caleçons ou de colètes, tels que les portent les nègres pour travailler dans les champs de cannes à sucre.

Une espèce de kaross, ou manteau taillé dans une peau d’utia, pendait sur ses épaules, attaché à son cou de taureau par une courroie de cuir, et retombait jusqu’à ses jarrets. Cet être étrange ne portait pas de chaussures ; une corne épaisse garantissait suffisamment la plante de ses pieds.

Sa coiffure n’était pas moins bizarre. Elle se composait d’une calotte prise dans la peau de quelque animal ; elle était si parfaitement ajustée au crâne de l’individu qu’elle en modelait toutes les protubérances ; autour de ce bonnet, descendant sur les tempes, se tordait la peau desséchée du grand serpent jaune, avec la tête du reptile au milieu et à laquelle deux cailloux brillants placés dans les orbites donnaient une apparence de vie.

Le nègre n’avait pas besoin de cet ornement pour inspirer l’effroi : la sombre lumière de ses pupilles, ses narines largement ouvertes, ses dents aiguës que l’on apercevait entre ses lèvres pourpres, le rouge tatouage de ses joues et de sa poitrine le rendaient hideux.

La femme qui l’attendait tressaillit en l’apercevant et parut hésiter à se confier à lui ; elle retrouva cependant sa résolution lorsque la barque s’arrêta devant les buissons qui se pressaient à la base du rocher. À la voix de l’homme qui l’invitait à descendre, elle assura la corbeille sur sa tête et se laissa glisser sur les hautes herbes aquatiques.

Le canot reprit le large, la mulâtresse assise à la poupe, l’homme manœuvrant les pagaies, et employant tous ses efforts à empêcher la frêle embarcation d’être emportée par le courant que l’on entendait gronder au-dessous, dans la gorge.

Ayant atteint l’arbre dont il avait détaché le canot quelques instants auparavant, le nègre grimpa sur le rivage, et, suivi de sa compagne, il se dirigea vers le temple d’Obi, dont il était le gardien et le prêtre inspiré.

Arrivé à la hutte formée par le cotonnier, le myal-man y entra, bien que ses larges épaules et sa bosse énorme eussent quelque peine à passer par la porte étroite. D’un ton de commandement il invita la femme à le suivre.

La mulâtresse parut hésiter.

Le nègre remarqua l’irrésolution de sa compagne.

« Entrez, Cynthia, lui cria-t-il d’une voix rude. Que craignez-vous donc ?

— Je n’ai pas peur, Chakra, dit la femme dont la voix tremblante démentait cette assertion, mais il fait si noir là-dedans !

— Alors restez dehors, je vais faire de la lumière. »

On entendit le frottement du briquet et des étincelles jaillirent. La flamme fut communiquée à une espèce de lampe faite de la carapace d’une tortue, remplie de graisse de sanglier, et ayant une mèche tissée avec les duvets tombés du cotonnier.

« Maintenant entrez, Cynthia, fit le nègre en posant sa lampe à terre. Quoi ! encore effrayée ? vous, la fille de Juno-Vagh’n ! Votre mère ne craignait pas ainsi le vieux Chakra.

« Oh ! Chakra, répondit-elle en montrant du doigt les étranges ornements qui garnissaient les murs, c’est un endroit bien fait pour terrifier une femme !

— Pas tant que le Jumbé-roc, répondit le myal-man d’un ton significatif.

— Très-juste ! vous êtes payé pour penser cela, Chakra. Mais dites-moi comment vous avez pu vous échapper du Jumbé-roc. Les gens disent que c’était votre carcasse qui était là-haut enchaînée au palmier.

— Et les gens disent vrai, répondit le myal-man.

— Quoi ! c’était vraiment votre squelette ! s’écria la femme avec une sorte de terreur.

— Les mêmes vieux os, la même peau, les mêmes côtes, jointures, nerfs et tout.Ah ! fille Cynthia, cela vous étonne, à ce qu’il paraît ; mais qu’y a-t-il là d’extraordinaire ? Est-ce que Chakra n’est pas myal-man. À quoi lui servirait son pouvoir ? Soyez sûre que Chakra ne mourra point, tant qu’il saura comment rendre la vie aux morts. Vieux Chakra le sait, et ni blancs ni noirs ne pourraient le tuer. Ils peuvent tirer dessus avec un fusil, le pendre parle cou, lui couper la tête, il reviendra toujours à la vie comme le lézard bleu et le serpent rouge. Ils ont essayé de le tuer, vous le savez, par la faim et la soif. Les corbeaux ont arraché les yeux et déchiré la chair du vieux nègre. Ils l’ont nettoyé jusqu’aux os. Eh bien ! Chakra a repris une nouvelle vie ; vous le voyez devant vous, fille. Est-ce qu’il n’est pas plus fort et mieux portant que jamais ? »

Et le hideux nègre leva le bras et inspecta