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mouvoir. La mousse qui revêtait les branches au maigre feuillage formait un dôme de verdure à travers lequel le soleil ne pouvait pénétrer.

Mais, entre les deux racines colossales du ceïba, on ne pouvait méconnaître le travail de l’homme. Il y avait, en effet, une sorte de réduit formé par la cavité du tronc. Une palissade en tiges de bambous, reliait les arcs-boutants qui faisaient office de murs latéraux ; un espace étroit avait été ménagé pour l’entrée qui pouvait se clore au moyen d’une porte en bambous fendus, jouant sur des gonds d’osier.

Un cadre en cannes formant couchette, attestait qu’une seule personne passait la nuit dans cette hutte ; il paraissait tenir lieu de table et de chaise, aussi bien que de lit. Une vieille bouilloire, quelques bols et soucoupes en calebasse composaient le reste de l’ameublement.

Cependant on voyait, suspendus au mur, des objets étranges. C’étaient la peau du redouté galliwasse, le serpent à deux têtes, le crâne et les défenses d’un sanglier, des échantillons desséchés du lézard gecko, d’énormes chauves-souris au visage presque humain et autres hideuses créatures.

De petits sacs, appendus au toit, contenaient des objets plus mystérieux encore : des boules d’argile jaunâtre, des griffes de chat-huant, des plumes et des becs de perroquets, des dents de chat, d’alligator et d’agouti ; des morceaux de verre.

Dans un coin, gisait une corbeille d’osier, un cuctacoo, rempli de racines et de plantes de diverses espèces, parmi lesquelles figuraient la venimeuse dumbcane, la fleur empoisonnée du savannah, et d’autres simples de même dangereuse famille.

Un étranger à la Jamaïque, en entrant dans cette hutte, se fût difficilement expliqué la bizarrerie de son aspect ; mais un indigène y eût sur-le-champ reconnu le symbole du fétichisme africain. C’était, en effet, un temple d’Obi et la demeure d’un de ses prêtres.

Le soleil se baignait dans le bleu Carribeau et teignait d’une lueur rose la surface brillante du Jumbé-roc, quand une forme humaine se dessina sur le chemin de la montagne qui conduisait à ce pic célèbre.

Le crépuscule ajoutait ses ombres à l’obscurité qui régnait habituellement sous le couvert de feuillée de la forêt. Cependant il aurait été possible de voir que la personne qui s’avançait ainsi était une mulâtresse.

Elle était vêtue d’une robe d’indienne à ramages, ouverte sur la poitrine, et portait pour coiffure un madras aux couleurs éclatantes. Sa démarche et ses regards annonçaient la volonté, et vraiment, il fallait un vrai courage pour se risquer aux environs du Jumbé-roc à une pareille heure.

Les traits de la mulâtresse qui étaient beaux, malgré une expression hardie, étaient empreints d’une anxiété nerveuse, exprimant le désir d’arriver au terme de son ascension ; elle tenait une corbeille dont le couvercle, à demi ouvert, laissait entrevoir une provision de yams, de plantins, de tomates, et les pattes d’une poule de Guinée.

Arrivée en vue du sommet, la femme s’arrêta tout à coup, regarda autour d’elle pour s’orienter, et, tournant à gauche, coupa diagonalementle flanc de la montagne. La direction qu’elle venait de prendre était celle du Trou-du-Spectre, et, à l’assurance de ses pas, il était facile de voir que cette route lui était familière.

Se frayant un passage à travers les buissons et les fourrés, elle arriva enfin au bord de la roche. Le point qu’elle venait d’atteindre était juste au-dessus de la gorge, à l’endroit où les arbres, en escaliers, conduisaient à la lagune.

Tirant de son corsage un petit mouchoir blanc, elle l’étendit sur une des branches de l’arbre le plus rapproché du précipice ; puis, s’appuyant au tronc, elle se pencha sur l’eau qu’elle regarda attentivement. Elle semblait attendre avec confiance, comme si, malgré l’obscurité croissante, son signal ne pouvait manquer d’être aperçu par quelqu’un faisant le guet et tout prêt à y répondre.

Elle ne fut pas désappointée. Au bout de cinq minutes, un canot se détacha des herbes aquatiques qui poussaient sur le bord de la lagune, et fila vers la roche, au-dessous de l’endroit où la femme s’était arrêtée.

Un seul individu occupait la petite barque. C’était un nègre de stature gigantesque, si l’on en jugeait par ses larges épaules, entre lesquelles on apercevait une tête énorme ; son dos était voûté et bossu, et de ces deux infirmités, l’une devait être originelle et l’autre amenée par l’âge. Accroupi et penché en avant, ses longs bras de singe lui permettaient de pagayer sans s’incliner ni d’un côté ni de l’autre. Le reste de son corps gardait une parfaite immobilité.