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comme tous ces prêtres qu’ils appellent myal-men, avoir la puissance de ressusciter. Le custos a été peut-être bien sévère envers cet esclave, cependant ne lui attribuait-on pas l’empoisonnement de plusieurs de ses camarades ?

— C’était en effet un coquin peu regrettable, mais il serait plus humain d’éclairer, d’instruire, de traiter doucement ces malheureux que de faire d’eux de si terribles exemples. On prétend que le custos n’est pas sans remords, et que, depuis cette exécution, il n’ose plus s’aventurer sur le Jumbé-roc. »

À ce moment, les deux interlocuteurs s’aperçurent de la présence d’Herbert et changèrent de conversation. Le jeune Anglais, sans témoigner qu’il eût écouté leurs propos, garda de ce qu’il avait entendu une sorte de tristesse mêlée de curiosité. En même temps que son imagination se représentait le drame du Jumbé-roc dont il apercevait de la fenêtre le piton dénudé, sur lequel un palmier élevait seul son panache verdoyant, il était choqué du mépris que les planteurs faisaient de Kate pour les quelques gouttes de sang noir qui coulaient dans les veines de la jeune fille ; et, en apprenant que la rigueur des lois le désignait comme héritier du custos au lieu et place de sa cousine, il se sentait plus disposé à pardonner à son oncle la rudesse du premier accueil qu’il en avait reçu. Du moment où il voyait en lui un danger pour Kate, il était naturel qu’il fût peu flatté de l’idée qu’il avait eue de quitter l’Angleterre. D’un autre côté : « Pour qui me prend-il donc, se disait-il, s’il croit que le fils de son frère puisse jamais songer à s’autoriser d’une loi si contraire aux droits de la nature, pour dépouiller sa propre cousine ? »


CHAPITRE X
LE TROU-DU-SPECTRE


Les deux planteurs, en rappelant l’affaire de Chakra, avaient fait allusion à un fait passé depuis une année environ, et qui avait occupé non seulement la société de Montego-Bay, mais surtout la population noire de la Jamaïque.

Quelques années avant l’émancipation des noirs, une grande agitation régnait dans les Indes occidentales au sujet des mystères d’Obi. Dans toutes les grandes propriétés de la Jamaïque, il y avait quelque nègre initié au culte de cette idole des Tartares ostiaques qui habitent les bords de l’Obi.

Dans le nombre, les plus âgés, les plus hideux d’aspect l’emportaient sur les autres adeptes de ces pratiques ténébreuses qui, sous couleur de religion, ne servaient que les instincts de vengeance des nègres opprimés : sombre et farouche revanche de l’ignorance tenue en esclavage !

Pour frapper l’imagination des initiés et en accroître le nombre, plusieurs d’entre eux prétendaient avoir la puissance de ressusciter les morts. Il n’y avait pas de doute à cet égard parmi les esclaves qui ignoraient que le prétendu ressuscité avait été seulement endormi par le myal-man lui-même au moyen du calabre, espèce de caladium.

Le myal-man de la Jamaïque est l’équivalent du « médecin » des Indiens de l’Amérique septentrionale, du « pinche » du Sud, du « faiseur de pluie » du Cap, et de « l’homme-fétiche » des côtes de Guinée.

La plantation de Mount-Welcome possédait comme les autres son myal-man, son sorcier dans la personne d’un vieux nègre coroman nommé Chakra, que sa laideur repoussante et son naturel rusé avaient rendu l’un des initiés les plus populaires.

On l’avait soupçonné d’avoir empoisonné le