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le long de sa jambe ! Il sauta en l’air, et le reptile retomba sur le sol.

Pendant quelques moments, le lord de Montagu se livra à une suite de sauts très fatigants ; les yeux lui sortaient, de la tête ; son visage était blanc de frayeur. Enfin, il se souvint que les serpents de la Jamaïque ne sont pas venimeux.

C’était toujours une consolation ; mais, si le reptile ne pouvait inoculer de venin, il était capable de mordre, et plusieurs autres monstres de son espèce pouvaient surgir à la rescousse. Ce danger ranima ses forces ; il eut l’idée de s’élever le plus près possible de l’orifice et de s’y tenir suspendu, afin d’éviter le plancher dangereux qui lui causait de si justes craintes.

Après bien des échecs, il finit par gagner une élévation de huit à dix pieds au-dessus de la base de l’arbre ; arrivé là, il trouva une légère saillie sur laquelle il s’assit de son mieux, et, appuyant ses orteils en face de lui contre le mur de sa prison, il tâcha de se maintenir dans cette posture. Ce n’était pas chose facile ; ses orteils s’engourdissaient ; sa force était à bout. À la pensée de retomber sur les reptiles, il jeta un cri d’angoisse terrible.

Ce cri le sauva. Au moment où il allait s’abandonner, une tête énorme apparut ; un visage noir comme l’Érèbe se pencha sur le trou, et il vit briller des dents blanches entre deux lèvres épaisses. Un bras noir et musculeux auquel s’attachait une main de Titan s’allongea jusqu’à lui ; il n’hésita point à la saisir et se sentit aussi lestement enlevé qu’un poisson qui a mordu à l’hameçon.

Ce tour de force accompli, il se trouva sur le sommet de l’arbre, assis à côté de son sauveur qui n’était autre que Quaco, le lieutenant de Cubissa.

Le cockney n’avait jamais vu le Marron ; aussi commença-t-il par se demander si l’homme qu’il avait devant lui n’était pas un voleur ; mais, rassuré par les aimables sourires du nègre, il lui conta, perchés comme ils l’étaient tous les deux sur le faîte de l’arbre, toute son aventure par le menu. Cependant son premier soupçon lui revint lorsqu’il vit, pendant ce récit, déboucher du taillis une vingtaine d’autres nègres parmi lesquels il reconnut Yola, la femme de chambre de miss Vaughan ; un jeune homme avait la main appuyée affectueusement sur les épaules de l’esclave et semblait lui faire des adieux.

« Yola ! cria le cockney, n’est-ce pas vous qui avez amené ces hommes ? Est-ce qu’ils n’appartiennent pas à Loftus Vaughan ? »

Cubissa se détacha vivement du groupe des Marrons et vint au pied de l’arbre pour demander à Quaco la cause de la singulière situation où il se trouvait, et ce qu’il faisait là avec ce gentleman. Le lieutenant donna satisfaction à son chef, et Smythje s’apprêtait à descendre par le lacis de vigne vierge, quand Cubissa cria péremptoirement à Quaco :

« Maintiens le gentleman au haut de l’arbre. »

Les deux mains de Quaco s’abattirent autour des reins de Smythje.

« Ne craignez rien, gentleman, lui cria Cubissa. Mais puisque vous vous êtes risqué dans nos forêts, il est bon que vous connaissiez les coutumes des coureurs de bois. Voulez-vous être sauf de votre petite aventure ? Donnez-moi votre parole de gentleman que vous ne parlerez pas de notre rencontre. Vous avez cru reconnaître Yola. Regardez cette jeune fille là-bas, et convenez de bonne grâce qu’elle n’est pas la femme de chambre de miss Vaughan. Ce qui se passe dans nos forêts ne doit être ni remarqué, ni surtout répété. Me jurez-vous de n’en rien dire ? Je me fierai à votre parole ; mais si vous refusez de me la donner… une petite poussée de Quaco peut vous faire faire un nouveau plongeon. Si, au contraire, comme je le souhaite, vous êtes de bonne composition, Quaco vous guidera vers Mount-Welcome.

— Eh ! je jure, je jure ! » dit Smythje avec un accent de sincérité qui n’avait rien de joué, et avec force démonstrations de gratitude.

Pendant tout ce temps, qu’était devenu Quashie ?

Une fois certain d’être reconduit à Mount-Welcome, M. Smythje ne s’inquiéta plus de son chien de chasse, bien qu’il fût en droit de lui en vouloir de ne pas s’être enquis de son maître, et de n’être pas accouru à ses appels réitérés.

Quashie, laissé en tête à tête avec la bouteille de cognac au bivouac du lunch, avait fait de si fréquentes libations qu’il s’était vite senti étourdi. Oubliant M. Smythje et ses fonctions auprès de lui, il s’ôtait endormi sur le gazon.

Son sommeil était si lourd qu’une décharge de mousqueterie ne l’eût pas éveillé, et il fût resté engourdi jusqu’au soir si l’ondée, tom-