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têtes dans le même bonnet. Comment nous procurer un témoignage blanc ? Ne dites-vous pas que Ravener, l’inspecteur de Jessuron, assistait au débarquement de la cargaison ?

— Oui, Votre Honneur ; c’est même lui qui a enlevé au prince ses vêtements et ses bijoux ; il en avait d’un grand prix.

— C’est un véritable vol. Eh bien ! capitaine Cubissa, dit le juge d’un ton solennel, je vous promets que cela ne se passera pas ainsi. Je ne vois pas encore la marche que je pourrai suivre, car il y a de grandes difficultés, M. Jessuron étant lui-même magistrat. N’importe ! justice sera faite. Mais les assises ne s’ouvrent que dans un mois à Savannah, et nous ne pourrons pas agir avant. Gardez le prince Foolah où vous l’avez caché ; ne le livrez sous aucun prétexte. Le Juif n’osera pas se porter aux dernières extrémités contre vous. Il habite une maison de verre ; et il aurait peur, en vous jetant des pierres, qu’elles ne ricochassent chez lui. Maintenant, attendez que je vous fasse demander ; je verrai mon avocat demain, et nous aurons bientôt besoin de vous. »

Le custos fit un léger signe d’adieu au Marron qui le salua avec respect, mais avec la dignité d’un homme libre.

Au moment où Cubissa allait franchir les limites du jardin de Mount-Welcome, il aperçut dans un buisson une jeune fille qui lui faisait signe de s’approcher. Cubissa obéit, avec autant de curiosité que d’étonnement, et il se trouva devant un berceau couvert d’aristoloches, de cléones et de viornes d’Amérique. Kate était assise sous ce dais de verdure émaillé de fleurs. Elle se leva pour venir dire au Marron :

« Entrez vite, pour qu’on ne vous voie pas de l’habitation. J’ai quelque chose à vous demander, capitaine.

— Je suis à vos ordres, miss, répondit Cubissa beaucoup plus subjugué par la douceur bienveillante de la jeune fille que par le ton d’autorité de son père.

— Ai-je mal entendu, capitaine, ou avez-vous dit que votre fugitif est un Foolah ?

— Il assure qu’il appartient à cette tribu, miss, et je le croirais, car il a le teint de cette jeune fille que voilà. Je crois même qu’il lui ressemble.

— Écoutez-moi, capitaine. Je sais que vous êtes un homme de cœur et que je puis me confier à vous. Mon père vous a-t-il donné le conseil de livrer l’esclave ?

— Tout au contraire, miss, il espère obtenir sa liberté aux assises prochaines, et il travaillera dans ce sens, pour faire pièce, je crois, à maître Jessuron.

— Eh bien ! vous savez le prix de la liberté, puisque vous êtes Marron. Voilà Yola que j’aime et qui se meurt de langueur malgré mes soins ; elle m’a suppliée de lui laisser voir votre esclave Foolah pour parler avec lui la langue de son pays. Voulez-vous l’emmener avec vous et me la ramener à Mount-Welcome quand elle l’aura vu ? La protégerez-vous comme un frère à travers la forêt ?

— Je vous le jure, miss ; elle n’aura pas bien loin à aller. Je craignais que le custos ne voulût voir mon Foolah, et à cet effet, je l’avais amené à trois milles d’ici, sous bonne escorte, vous pensez bien, par crainte des traquenards de maître Revener.

— Et, continua Kate, si le tribunal reconnaissait que le Foolah doit être mis en liberté, vous chargeriez-vous d’une autre mission encore ? Je n’ai pas voulu vendre Yola à maître Jessuron, il y a quelques jours, parce que je n’entends la céder à personne ; mais j’aime mieux son bonheur que ses services. Si le Foolah est libre, il s’en ira dans son pays sans doute, et il sera un bon compagnon pour Yola. »

— Partez donc, dit Kate, mais dites-moi auparavant, capitaine, comment vous avez fait connaissance avec mon cousin Herbert et s’il vous a promis de vous revoir. »

Cubissa se plut à faire à Kate un récit moins succinct que celui qu’il avait fait au custos ; elle s’émut en apprenant le dénuement dans lequel Herbert s’était trouvé, et lorsque le Marron eut fini sa narration, elle lui dit :

« Si vous revoyez mon cousin, capitaine, dites-lui que ce n’est pas bien à lui d’avoir accepté d’un étranger ce qu’il a refusé de sa cousine… et que, de loin comme de près, je fais des vœux pour qu’il soit heureux.

— Je lui dirai surtout, répondit Cubissa en prenant congé, que sa cousine a un cœur d’or. Oui, miss Vaughan, je le lui dirai, et ni lui ni personne ne songera à démentir Cubissa. »