Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/336

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE VIII
MAGISTRAT ET MARRON


Le lendemain du jour où Herbert avait trouvé un asile chez Jacob Jessuron, le directeur de la plantation de Mount-Welcome étonna beaucoup le custos en lui disant, à l’issue de son déjeuner, qu’un Marron demandait à être introduit près de lui.

Le custos était occupé à adresser quelques recommandations à M. Smythje qui partait pour la chasse et qui paradait devant Kate dans une tunique collante de soie verte, garnie de fourrures, accompagnée d’un pantalon en peau de chamois couleur paille, soudé par des sous-pieds à des bottes du plus irréprochable vernis.

Kate ne pouvait s’empêcher de sourire de la figure hétéroclite de M. Smythje ainsi équipé, mais elle lui souhaita bonne chance gracieusement et, quand il fut sorti, emmenant sur ses talons Quashie qui devait lui servir de guide, elle alla s’asseoir devant une des fenêtres de la salle, accompagnée de Yola qui s’accroupit aux pieds de sa jeune maîtresse.

Loftus Vaughan ayant donné audience au Marron que lui annonçait son directeur, M. Trusty, Cubissa, car c’était lui, entra dans la salle d’un pas ferme et salua fort respectueusement le custos.

« Eh bien ! jeune homme, lui dit M. Vaughan sans nulle aménité, vous êtes, je crois, un des Marrons de Trelawney ?

— Oui, Votre Honneur ; je me nomme Cubissa.

— Cubissa ? n’êtes-vous pas capitaine et chef d’un village ?

— Seulement de quelques familles ; nous formons une très petite colonie. Je viens avec votre permission, Votre Honneur, vous demander conseil sur un différend que j’ai avec M. Jessuron. — De quoi s’agit-il ? demanda-t-il au Marron.

— D’une étrange histoire, Votre Honneur, » répondit Cubissa en racontant les circonstances de la capture du fugitif. Loftus Vaughan fronça le sourcil en apprenant la part que son neveu avait prise à cette affaire : il laissa même échapper quelques jurons énergiques lorsque Cubissa lui apprit qu’Herbert avait trouvé un asile chez le vieux Juif, mais Kate resta suspendue aux lèvres du Marron pendant qu’il parlait d’Herbert, et quand il assura que le fugitif était de race Foolah, la jeune esclave Yola, fort émue à son tour, adressa tout bas à sa maîtresse des supplications dont le résultat fut la sortie de Kate Vaughan et de sa femme de chambre.

Le custos était trop préoccupé de l’histoire que lui contait Cubissa pour s’inquiéter des faits et gestes de sa fille, et quand le Marron eut complété son récit, il lui dit :

« C’est un drame vraiment, et il n’y manque plus que le dénouement. J’ai envie, sur ma parole, de me mettre au nombre des acteurs. Ah ! s’écria-t-il frappé d’une idée soudaine, je m’explique pourquoi le vieux brigand voulait m’acheter Yola… Vous dites que le prince possédait vingt-quatre mandigos ?

— Oui, Votre Honneur ; il en avait même donné vingt autres au capitaine du navire qui l’a amené.

— Quel malheur que le témoignage d’une langue noire ne puisse compter contre l’affirmation d’un blanc ! Si l’on pouvait retrouver ce capitaine de navire ? Le fugitif a-t-il au moins retenu son nom ?

— Oui, c’est un certain Jowler, qui trafique avec le Sénégal ; le jeune homme le connaît fort bien.

— Il n’y a pas de doute : Jowler et Jessuron sont deux canailles dignes de s’entendre, deux