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bien. Lequel de vous est chargé du café et du sucre ?

— Moi, capitaine ! s’écria un des hommes en lui montrant victorieusement les ustensiles nécessaires à la préparation de ce breuvage.

— Du feu, et promptement ! » commanda Cubissa d’un ton de bonne humeur.

Des feuilles et des branches sèches furent rassemblées ; un morceau d’amadou y mit le feu, et des flammes claires s’élancèrent autour du foyer en plein air. Une tringle de fer, posée horizontalement sur deux bâtons fourchus, servit à suspendre deux pots de cuivre au-dessus du brasier.

Les pigeons et la poule, plumés et flambés, furent dépecés dans la plus grande marmite, où les rejoignirent les homards ainsi qu’une partie du jambon de chevreuil. Une poignée de sel, un peu d’eau, quelques bananes, des tranches d’arum et de calabou, du poivre rouge de Guinée, y furent ajoutés.

Le lieutenant Quaco, qui jouait le rôle de chef de cuisine, déclara, au bout de quelque temps, que le pepper-pot, qui avait bouilli avec une véritable furie sur un feu de branches sèches, était enfin cuit à point.

Plats, bols, coupes et assiettes en écaille de tortue ou en écorces de calebasse furent disposés sur le gazon. Herbert et le capitaine se servirent de cette étuvée au fumet savoureux ; à leur exemple, les hommes s’assirent par groupes, à l’écart, et prirent leur part de ce festin.

Le fugitif ne fut pas oublié dans cette fête forestière ; Quaco veilla à ce qu’il eût sa part de tous les mets.

Le déjeuner achevé, les nègres ramassèrent leurs ustensiles et se préparèrent au départ. Le sanglier fut découpé par morceaux, que l’on distribua dans les cuctacoos.

Le dos écorché de l’esclave avait été frotté par Quaco d’un cérat balsamique, et on avait fait comprendre au malheureux Cingües qu’il devait suivre la troupe. Loin de se défier de ses nouveaux protecteurs, il laissa percer une joie très vive.

Par respect pour leur chef, auquel ils témoignaient une grande déférence, les Marrons se tinrent à l’écart pendant que Cubissa faisait ses adieux au jeune Anglais.

« Puisque vous êtes étranger dans l’île, maître Vaughan, lui dit-il, je vous offre un de mes gens qui vous servira de guide.

— Je vous remercie, je retrouverai tout seul mon chemin, répondit Herbert.

— Quel que soit l’endroit vers lequel vous vous dirigiez, insista le Marron, qui se souvenait de l’exclamation par laquelle Herbert avait déclaré ne point vouloir retourner à Mount-Welcome, vous risquez de vous égarer : cette clairière est entourée de bois d’une traversée difficile.

— Vous êtes bien bon, dit Herbert touché de la délicate sollicitude du chasseur. Je désire aller à Montego-Bay, et si un de vos hommes veut me mettre sur mon chemin, je lui en aurai de l’obligation ; mais je dois vous avouer que, par suite de certaines circonstances, je ne pourrai que le remercier de sa peine, sans être en mesure de l’en récompenser.

— Master Vaughan ! dit le Marron avec un sourire cordial, je m’offenserais de ces paroles si vous n’étiez étranger à nos coutumes. Puis, vous oubliez que vous vous êtes mis, il y a une heure, devant le canon d un pistolet pour protéger la vie d’un Marron, d’un pauvre mulâtre proscrit…

— Excusez-moi, capitaine ; je vous assure…

— Il suffit, maître ; je comprends assez que votre cœur généreux est libre des préjugés de caste et de couleur. Et aussi longtemps que vivra Cubissa, souvenez-vous que par delà ces montagnes bleues, est la demeure d’un Marron dont le cœur vous est reconnaissant. Si la fantaisie vous prend jamais de l’honorer d’une visite, si la nécessité vous y pousse, vous trouverez sous son humble toit un bon accueil, offert par un ami.

— Merci ! s’écria Herbert, à qui cette effusion fit un grand bien moral. Je profiterai peut-être de votre offre hospitalière. Au revoir !

— Au revoir alors ! répéta le Marron en serrant la main que lui tendait le jeune Anglais. Quaco ! Conduisez ce gentleman sur le chemin de Montego-Bay. Puisse la fortune vous favoriser, master Vaughan ! »