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sache au moins le nom du brave gentleman blanc qui a voulu risquer sa vie pour Cubissa le Marron.

— Je m’appelle Herbert Vaughan, répondit le jeune Anglais surpris de la singularité de ce nom et de ce titre.

— J’en conclus, maître, que vous avez des parents dans l’île ; le propriétaire de Mount-Welcome…

— Est mon oncle.

— Ce n’est pas chose commode de trouver sa route à travers ces bois. Excusez ma curiosité, maître Vaughan ; mais vous y êtes donc arrivé de nuit, car il n’y a pas dix minutes que le soleil est levé au-dessus des arbres, et la distance de Mount-Welcome est au moins de trois milles.

— J’ai passé la nuit, répondit l’Anglais, à la place où gît le sanglier que vous avez si vaillamment tué.

— Le fusil vous appartient donc, et non pas à l’esclave, comme je le croyais ?

— Oui, c’est mon fusil, et je suis charmé qu’il ait été chargé, puisqu’il a sauvé ce pauvre être de la bête sauvage lancée sur lui. Le garçon s’est bien servi de cette arme. Qui est-il donc, et que lui voulait-on ?

— Ah ! maître Vaughan, ces questions prouvent que vous êtes étranger à notre île. Je vais répondre à toutes les deux, bien que je voie ce jeune homme pour la première fois.

— Mais interrogeons-le lui-même.. Que vous ont-ils fait, mon camarade ? demanda Herbert au fugitif qui regardait silencieusement les jeunes gens avec une reconnaissance encore mêlée de crainte. »

S’apercevant qu’on lui adressait la parole, celui-ci leur répondit dans une langue inconnue à laquelle il mêla le peu de mots anglais qu’il savait ; les termes : « Moi libre, prince, trompé, trahi, donné Foolah, moi pas esclave ni vendu, » revinrent souvent dans son discours.

« Inutile de lui en demander davantage, maître Vaughan, reprit le chasseur ; il a épuisé tout son vocabulaire anglais ; mais il est aisé de voir qu’il est nouveau débarqué à la Jamaïque, car la chair est encore rouge autour des lettres de sa marque. Voyez comme cet abominable Juif l’a traité ! »

Et le Marron montra les omoplates de l’esclave toutes sillonnées de plaies. Herbert détourna les yeux avec un tressaillement de pitié.

« D’où peut venir ce malheureux ? demanda-t-il ; il n’a pas les traits d’un nègre.

— D’Afrique, sans doute ; toutes les tribus africaines ne sont pas noires. Il a prononcé un mot qui m’a frappé. Je gagerais que c’est un Foolah.

— Oui, Foolah, Foolah ! s’écria le fugitif en entendant le nom de sa race.

— Il prétend aussi qu’on l’a trompé, qu’il n’est pas esclave. C’est un fait que je voudrais approfondir, et j’y pense, maître Vaughan, votre oncle a justement une esclave Foolah qui pourrait entendre le langage de cet infortuné et nous faire comprendre son histoire. S’il y avait là une iniquité de ce vieux Jessuron !…Crambo ! il ne s’en faut de guère que je ne livre pas cette pauvre créature à son maître.

— Et pourquoi le livrer ? s’écria Herbert.

— Il le faut, hélas ! Par un traité, les Marrons sont obligés de restituer les esclaves qu’ils prennent, et si nous manquions à cet engagement… » Le Marron secoua la tête, et comme s’il désirait changer de sujet de conversation, il ajouta : « C’est donc en chassant cette nuit, maître Vaughan, que vous vous êtes égaré ? Je me charge de vous remettre dans le chemin de Mount-Welcome.

— Je ne suis pas pressé de regagner la plantation, et peut-être n’y retournerai-je jamais, » répondit l’Anglais.

Le chasseur le regarda avec étonnement, mais il s’abstint discrètement de toute question ; apercevant à terre les débris du chou palmiste, il dit avec une sorte de gaieté :

« Est-ce que ce sont là les restes de votre déjeuner, maître Vaughan ?

— Et de mon souper d’hier au soir, répondit le jeune homme gagné par l’accent cordial de Cubissa.

— Alors, si vous n’aviez pas de répugnance à partager mon repas, maître Vaughan, je me hasarderais à vous offrir un déjeuner plus sérieux. Vous acceptez ?… Merci ; je vais sonner mes serviteurs. »

Le chasseur porta à ses lèvres la corne qui pendait à son côté et il en tira une sonnerie prolongée. Divers accents de trompe lui répondirent, partant de plusieurs directions ; c’étaient évidemment des réponses à l’appel du chef.

« Vous voyez, maître Vaughan, dit Cubissa avec un ton de fierté, que ces vautours n’auraient pas pu suivre leur fantaisie. Mes fau-