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de bois et leva sur lui des yeux où ruisselaient des larmes.

« J’entends, dit celui-ci, ils sont après vous ? Bon, laissez-les venir. La prime est pour moi, et non pour eux. Pauvre diable, cela ne me va guère de vous remettre entre leurs mains ; et sans la loi qui m’y force, je mépriserais leur indigne récompense. Ah !… ils viennent. J’entends la voix de leurs limiers. Ici, pauvre camarade. »

Le chasseur plaça le fugitif entre les deux racines du ceiba.

« Tenez-vous serré dans l’angle, lui dit-il, laissez-moi me placer devant vous. Voilà votre fusil. Ne tirez pas, à moins d’être sûr de toucher. Nous aurons besoin de toutes nos armes pour nous délivrer de ces chiens espagnols… Crambo ! les voilà ! »

En effet, les deux molosses s’élancaient des buissons qui fermaient la clairière. La couleur éclatante de leurs museaux montrait qu’ils avaient été appâtés avec du sang et rendait plus effroyables les crocs qui sortaient de leurs gueules hurlantes. Sans s’arrêter à glapir et à aboyer, ils se précipitèrent en avant vers le ceiba.

Le premier s’embrocha sur le machete étendu par le chasseur ; le second, sautant sur le fugitif, reçut, à bout portant, la décharge du fusil, et comme le premier, roula sans vie sur le sol.

Du haut de son arbre, Herbert commençait à croire qu’il rêvait. Néanmoins le drame ne touchait pas à sa fin. Rien ne s’était encore passe cependant qui l’excitât à sortir d’une stricte neutralité, il résolut de se borner au rôle de spectateur. Il venait de prendre cette détermination quand trois nouveaux personnages apparurent.

L’un d’eux, le chef apparemment, était un homme de haute taille, vêtu d’un gilet de peluche rouge et chaussé de bottes à éperons ; il était armé d’un fusil et de pistolets ; les autres, de physionomie espagnole, ne paraissaient pas avoir d’autre arme que le machete.

Les trois hommes firent halte devant le ceiba. L’individu qui paraissait commander prit la parole avec arrogance :

« Quel jeu se joue ici ? s’écria-t-il. Pourquoi avez-vous tué mes chiens ?

— Si je ne les avais pas tués, répondit le chasseur avec un sang-froid qui lui valut l’approbation tacite d’Herbert, ne m’auraient-ils pas dévoré ?

— Ils étaient trop bien dressés pour cela, répondit l’autre. Ils n’en voulaient qu’à celui-là. Pourquoi vous êtes-vous mêlé de le protéger ?

— C’est mon affaire de veiller sur lui, puisqu’il est mon prisonnier. Mort, je n’eusse reçu que deux livres de prime pour sa tête ; vivant, il me vaudra le double. Qu’avez-vous à répondre, gentleman ?

— Que nous n’écouterons pas plus longtemps vos sottises. Cet esclave appartient à Jacob Jessuron, dont je suis le directeur ; il a été pris sur les terres de mon maître, et vous ne pouvez pas réclamer le prisonnier, encore moins la prime. Ainsi, dépêchez-vous de nous le livrer. »

Les trois hommes s’avancèrent, tous les trois brandissant leurs machetes, tous les trois prêts à faire usage de ces armes.

« Venez donc ! vociféra le chasseur ; mais le premier qui mettra la main sur lui est un homme mort. Lâches, vous nous attaquez à trois et nous sommes à peine deux, car cette pauvre créature est à moitié brisée par vos mauvais traitements.

— Trois contre deux ! cela ne sera pas, s’écria Herbert en se laissant tomber à terre, et il se rangea du côté le plus faible en tirant de son habit un pistolet qu’il arma.

— Qui êtes-vous, monsieur ? dit Ravener avec arrogance. Quel est l’homme blanc qui se met en contravention avec les lois de l’île ? Vous connaissez le code, monsieur, vous répondrez de cette intervention.

— Si j’agis contre la loi, j’en répondrai en effet, répondit Herbert, mais il ne me convient pas de vous accepter pour juge. »

En dépit de son insolence, le directeur sentit se refroidir son humeur belliqueuse dès qu’il eut été toisé par ce nouveau champion ; il somma encore une fois le chasseur de lui rendre l’esclave ; en ayant subi un nouveau refus, il menaça le jeune Anglais de la justice de la Jamaïque et donna aux deux Espagnols le signal de la retraite. Ceux-ci emboîtèrent le pas derrière leur chef en lançant des imprécations contre le chasseur meurtrier de leurs chiens.

Après le départ des émissaires de Jessuron, le chasseur tourna vers Herbert des yeux où brillait la gratitude.

« Maître, s’écria-t-il, les paroles sont une bien petite preuve de reconnaissance pour le service que vous venez de me rendre. Que je