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pondit Jessuron avec un méchant sourire. »

L’intendant traversa la cour et alla ouvrir une porte conduisant dans une chambre séparée du hangar des esclaves. Il en ressortit avec un individu qu’à ses vêtements on eût difficilement reconnu pour le prince Cingües. Le jeune Foolah n’avait cepepdant rien perdu de sa fierté ; mais son attitude était sombre.

Ravener le conduisit devant le fourneau. Le jeune Foolah regardait autour de lui dans une sorte d’égarement, pressentant un outrage, sans deviner lequel ; une seconde se passa, l’opérateur leva le fer rouge… Le prince Cingües était l’esclave de Jessuron.

Comme si la terrible vérité se faisait jour pour la première fois dans son esprit, le Foolah poussa un cri aigu, et, avant que personne pût s’opposer à son élan, il gravit le perron de la véranda et saisit le Juif à la gorge.

Tous deux roulèrent à terre et se tordirent dans une lutte acharnée. Ravener et les deux Espagnols se précipitèrent au secours de leur maître. Ils domptèrent Cingües et parvinrent, non sans peine, à arracher de ses mains le vieux Juif à demi étranglé par son étreinte puissante.

« Cent coups de bâton à ce sauvage ! » dit Jessuron dès qu’il fut revenu d’une pâmoison qui avait réjoui peut-être toutes ses victimes.

Le prince Cingües fut attaché à un poteau élevé au milieu de la cour ; un bourreau, de formes athlétiques, le frappa du terrible quirt, et, au centième coup, le pauvre Foolah tomba évanoui contre le pieu teint de son sang.

Et l’on dit qu’aujourd’hui encore, au milieu de populations chrétiennes, l’esclavage a ses partisans !


CHAPITRE VI
AVENTURES DANS LA FORÊT. — LES MARRONS


En quittant la maison inhospitalière de son oncle, Herbert se dirigea vers la plantation d’arbres, qu’il traversa ; il se trouva alors sur le côté droit de la montagne.

Au milieu des pensées orageuses qui se heurtaient dans son cerveau, une réflexion l’avait empêché de longer l’avenue ; il n’avait pas voulu s’exposer aux regards des gens de la plantation. Arrivé aux limites de la plateforme, il escalada un mur assez bas qui le séparait des champs environnants, et il se mit à gravir la côte sous le couvert d’un bois d’arbres à piment.

Il marcha d’abord au hasard, sans pouvoir rassembler assez de calme pour former un projet ; enfin il s’arrêta à l’idée de retourner, s’il était possible, à Montego-Bay ; mais le dôme feuillu sous lequel il marchait ne lui permettait pas de s’orienter pour retrouver son point de repère naturel, la rivière qu’il avait traversée, et quand il dut s’avouer à lui-même qu’il était égaré, il se consola un peu en se demandant quel abri aurait pu s’ouvrir à la ville devant un voyageur sans argent. Le soleil baissait, d’ailleurs. Mieux valait s’arrêter sous les branches touffues d’un cotonnier qui dressait devant lui, dans une petite clairière, ses bras gigantesques. Les capsules de l’arbre s’étaient ouvertes sur les branches, et le terrain au-dessous était couvert d’une couche épaisse de flocons cotonneux formant un lit tout préparé.

Herbert se demanda si la question du souper serait aussi facile à résoudre ; il n’avait pris depuis le matin qu’un morceau de porc salé et une chétive portion de biscuit de mer en quittant le vaisseau, et il commençait à sentir les aiguillons de la faim. Depuis son entrée en forêt, il n’avait vu passer aucun gibier, et il s’affectait de ses recherches infructueuses.