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neveu. » Elle devina en partie la réponse : « Dites-lui de m’attendre dans le pavillon du jardin. »

M. Vaughan revint à sa place d’un air presque satisfait ; il pensait avoir esquivé le danger ; mais à peine se fut-il rassis que Kate s’écria :

« M. Trusty n’a-t-il point parlé de votre neveu, mon père ? Est-ce que mon cousin serait arrivé ?

— Kate, répondit brusquement le custos, vous pouvez vous retirer chez vous. M. Smythje et moi, nous allons fumer un cigare. »

La jeune fille se leva et regagna son appartement d’un pas rêveur en protestant dans le secret de son cœur contre la différence de cet accueil fait à un étranger, et de l’hospitalité donnée comme à regret à son cousin. Mais le cavalier était-il bien ce pauvre Herbert pour lequel elle se sentait dans l’âme la tendresse d’une sœur, à la pensée qu’il était orphelin, dénué de tout soutien et de toute affection ?

Un jardin de plantes et de fleurs rares occupait une partie de la plate-forme sur laquelle était bâti Mount-Welcome. Sur une des pelouses, à une douzaine de pas de l’habitation, s’élevait un pavillon léger, fait de bois indigènes. Une seule pièce occupait l’intérieur ; il n’y avait pas de glaces aux fenêtres ; les murs étaient à claire-voie, grillagés de persiennes vénitiennes. Une natte chinoise couvrait le parquet, une table en bambou et quelques chaises assorties composaient tout l’ameublement.

Au moment où Kate quittait la salle, Herbert était introduit dans ce pavillon par les soins de M. Trusty.

En arrivant à l’habitation, Herbert avait trouvé le directeur en sentinelle à la porte de l’escalier ; il avait réclamé en termes simples, mais fermes, de ce personnage une entrevue avec M. Vaughan au nom de sa parenté, et M. Trusty avait dû se résoudre à déranger le planteur afin d’éviter à son maître le scandale dont semblait le menacer l’arrivée d’Herbert, en se dirigeant du côté de la salle.

« Patience, mon cher monsieur, avait dit le directeur au jeune homme ; M. Vaughan vous recevra tout à l’heure, mais il a du monde à dîner.

« Du monde ! s’était dit Herbert. Le passager de la cabine qu’il fête, tandis qu’il me repousse, moi qui suis son neveu ! »

Herbert était fier. Il renonça pourtant à enlever le passage de vive force. Un tel début répugnait à ses principes d’éducation ; il eut certes préféré sortir de la maison sans voir son oncle, et, s’il se décida à attendre le bon plaisir de ce parent si peu cordial, ce fut par respect pour la mémoire de son père.

Il était bien près, cependant, d’atteindre le dernier paroxysme de l’irritation quand la porte s’ouvrit. Le jeune Anglais s’attendait à voir paraître un vieillard rechigné ; mais quelle fut sa surprise ! Ce fut une charmante jeune fille qui s’avança vers lui, les yeux animés par une douce sympathie, et qui ne put que lui demander d’une voix émue :

« Monsieur, êtes-vous mon cousin ?

— Seriez-vous la fille de M. Vaughan ? interrogea le jeune.homme.

— Je m’appelle Kate et je suis sa fille.

— Je m’appelle Herbert Vaughan et j’arrive d’Angleterre. »

Il y avait dans ces quelques mots une certaine raideur qui attrista la jeune fille, néanmoins elle ajouta pour rompre la glace :

« Mon père a reçu votre lettre, mais je pense qu’il ne vous attendait que demain. Permettez-moi, mon cousin, de vous souhaiter la bienvenue à la Jamaïque. »

Sous l’influence de cette douce voix, Herbert eut honte de son attitude morose : « Merci de votre bon souhait, lui dit-il avec cordialité. Je suis bien aise que votre nom soit Catherine. C’était le nom de la mère de mon père ? Était-ce aussi celui de ma tante ?

— Non, elle s’appelait Quasheba.

— Voilà un prénom qui n’est pas commun.

— À Londres sans doute ?… Les vieilles gens de la plantation ont l’habitude, à cause de cela, de m’appeler Lily Quasheba ; mais cela déplaît à mon père qui le leur défend.

— Votre mère était-elle Anglaise ?

— Non, elle était de la Jamaïque ; elle est morte jeune, je ne l’ai jamais connue, et je n’ai jamais eu non plus ni frères ni sœurs. Je me sens bien seule parfois, moi aussi !

— Mais vous aurez de la compagnie, désormais, répliqua Herbert d’un ton un peu amer. M. Smythje me paraît fort amusant.

— Vous le connaissez ? demanda la jeune fille. Ah ! oui, vous êtes arrivés tous les deux par le même navire. Quelle idée avez-vous eue de ne pas venir dans la barouche avec lui ?… Mais j’y pense, mon cousin, excusez mon étourderie, vous n’avez peut-être pas dîné ?

— Non, mais qu’importe ! même mourant