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jeune homme. Ne l’oubliez pas, Evan Roy ! Êtes-vous si fier de votre sang européen, que vous comptiez un Indien pour moins que rien ? Après tout, cette maison, mes terres, ma fortune, d’où viennent-elles, sinon de la race de ma mère ?… Est-ce que ce ne sont pas ces Indiens qui donnaient des trésors à mon père en échange du poison qu’il leur vendait ? Pour un baril de whisky ils lui cédaient jusqu’à deux ou trois cents peaux de buffles, et celui que vous appelez un chef de clan n’était en somme qu’un colporteur, trop habile peut-être dans son métier !… Je vous le dis, Evan Roy, tout ce qui est ici me vient du côté de ma mère, et puisque la malédiction de ma race pèse sur ma tête, eh bien ! donc, moi aussi je boirai !… Joe ! Ici tout de suite avec le whisky !… »

Il criait maintenant dans le couloir, pris d’un nouvel accès de rage, et sa voix retentissait dans cette grande maison silencieuse.

Joe n’avait garde de se montrer, mais le frou-frou d’une robe de soie se fit entendre dans l’escalier, et une jeune fille apparut tout à coup.

« Mon frère ! Est-ce vous enfin ? » dit-elle en se jetant au cou de Mac Diarmid.

La colère du jeune homme était subitement tombée. Il embrassa tendrement sa sœur, puis, reculant d’un pas, il la contempla longuement.

C’était une créature mince et pâle, avec de grands yeux sombres et des cheveux d’un noir de charbon qui ne l’empêchaient pas d’être véritablement belle. La rondeur de sa figure et l’élévation des pommettes, particulières à sa race, avaient seulement pour effet de la faire paraître plus jeune qu’elle ne l’était réellement, et la blancheur de ses dents éclairait son teint mat d’une singulière expression de douceur et de bonté. Par un caprice de toilette assez original, elle était habillée de la plus belle soie que pussent fournir les fabriques de Lyon, mais la coupe de sa robe était à demi sauvage, et elle était coiffée d’un foulard écarlate retenu par un cercle d’or.

« Harotachtché, Fille-du-Matin, lui dit enfin le jeune homme d’une voix sourde, c’est fini, ma sœur — Mac Diarmid ne conduira jamais les guerriers blancs au combat. Ils ont déshonoré ton frère et détruit sans retour les espérances qu’il avait formées pour la race de notre mère… Nous allons quitter cette ville… Nous avons eu tort, vois-tu, d’abandonner les huttes de peaux pour les maisons de pierre !… Les hommes blancs et les hommes rouges ne peuvent pas vivre côte à côte… Revenons donc au désert, — à notre vraie patrie !… Là, du moins, il n’y a pas de mensonge ! »

Harotachtché, la Fille-du-Matin, croisa ses mains avec la docilité habituelle des jeunes tilles indiennes.

« Mon frère, vous êtes le Chef des Echipetahs, dit-elle les yeux baissés. C’est le devoir des femmes d’obéir aux guerriers. Je suis prête.

— Et maman ? reprit Mac Diarmid.

— Elle vous attend dans son appartement, » répondit la jeune fille en précédant son frère vers l’étage supérieur.

Ils suivirent un couloir tout tapissé de fourrures et, comme le reste de la maison, brillamment éclairé en dépit de l’heure avancée de la nuit, et arrivèrent à une porte fermée, que traversaient des sons sourds et monotones, comme ceux d’une mélopée de nourrice accompagnée sur le tambourin.

Mac Diarmid et sa sœur s’arrêtèrent un instant pour écouter.

« Pauvre mère ! murmura-t-il enfin, elle dit la Chanson du Chef en mon honneur. Attends-moi là, ma sœur… »

Et il pénétra seul dans l’appartement.