Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/319

Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE IV
UNE RÉCEPTION BRUTALE


La voiture qui avait conduit M. Smythje à Mount-Welcome était arrivée une heure avant qu’Herbert ne fît halte à la porte du pavillon.

On était au milieu du jour, et les habitants de Mount-Welcome dînaient à quatre heures ; le valet de chambre de M. Smythje n’eut donc que le temps de déballer les valises et d’habiller son maître pour l’heure du repas.

C’était ce moment que M. Vaughan avait choisi pour présenter son hôte à sa fille ; mais un fâcheux contretemps dérangea l’étiquette de cette cérémonie.

Le parquet glissant de la salle amena une catastrophe ; en esquissant un salut fashionable, le cockney s’étala tout du long par terre aux pieds de la jeune fille, qui ne put retenir le plus irrésistible et le plus mortifiant des éclats de rire.

Heureusement, M. Smythje avait une trop solide vanité pour redouter qu’aucun accident lui donnât du ridicule.

« Paw ! Paw ! ce parquet est terriblement glissant ! » dit-il, et sur cette remarque d’une vérité qu’il venait de prouver, il se mit gravement à table.

Ce fut un de ces festins somptueux en usage aux Indes occidentales, que Loftus Vaughan offrit à son hôte anglais. Un véritable flot de valets empressés allait et venait de l’office à la salle, apportant des mets nouveaux et vaquant au service. D’autres versaient les vins tirés de rafraîchissoirs en argent. Des jeunes filles de couleur agitaient autour des convives de longs éventails en plumes de paon, établissant ainsi dans la salle un courant d’air d’une délicieuse fraîcheur.

Montagu Smythje, quoique habitué aux élégances de la vie anglaise, ne put s’empêcher d’admirer tant de luxe ; aussi Loftus Vaughan était-il au comble de la joie, quand un nuage vint troubler l’azur de son ciel.

Ce nuage avait une forme humaine ; il avançait dans la direction de la longue avenue ; bientôt on put distinguer un homme à cheval ; alors le custos s’agita sur son siège dans une attitude si contrainte que Smythje lui dit :

« Par mon âme, quelque contrariété, sir ?

— Non, rien, balbutia Loftus Vaughan… seulement une surprise !

— Eh ! quoi donc, mon père ? dit la jeune tille. Je vois un jeune homme qui vient sur un de nos poneys et voilà Quashie qui court derrière. Qui est-ce donc ?

— Kate, restez assise ; il n’est pas convenable de troubler ainsi notre dessert, répondit le custos d’un air auquel la jeune fille savait qu’il était dangereux de désobéir. M. Smythje, un verre de madère ? »

M. Vaughan affecta ainsi de ne plus s’occuper du cavalier ; mais il avait peine à garder son sang-froid, et il lui devint impossible de soutenir la conversation. Le silence de mauvais augure qui s’était établi dans la salle fut enfin interrompu par un bruit de voix et de pas sur l’escalier. La porte s’ouvrit et le directeur de la plantation parut sur le seuil.

— Ah ! dit Loftus Vaughan d’un air dégagé, M. Trusty veut me parler. Vous m’excuserez un instant, Smythje. »

Le planteur se dirigea en hâte vers la porte, comme pour empêcher M. Trusty de pénétrer dans la salle. Le directeur n’était point diplomate malheureusement ; il expliqua sa mission à voix basse, il est vrai, mais pas assez pour qu’on ne perçut aucune de ses paroles.

L’oreille fine de Kate, très éveillée en ce moment, saisit ce lambeau de phrase : « Votre