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a vendue l’an dernier. Que diriez-vous de dix livres pour échange ?

— Peuh ! lit le planteur avec un mouvement d’épaules dédaigneux, ce serait loin de mon prix en supposant que je voulusse vendre cette fille.

— Disons vingt, hé ?

— Ni vingt, ni deux fois vingt, ni même deux cents livres.

— Deux cents livres ! dit Ravener en bondissant sur sa chaise. Il n’y a pas une esclave de l’île qui vaille tant d’argent.

— Eh ! qu’elle les vaille ou non, qu’est-ce que cela me fait, puisque je préfère la garder ?

— S’il en est ainsi, se hâta de dire Ravener, nous donnerons les deux cents livres ; mais maître Jessuron me grondera.

— Vous ne m’entendez donc pas ? s’écria le custos. Je n’accepterai ni les deux cents livres ni même le double. Yola appartient à ma fille qui refusera son consentement à cette vente.

— Messire Vaughan, vous ne voudriez pas manquer une bonne affaire ? Je vous offre les quatre cents pounds pour ne pas mécontenter mon client.

— Eh bien ! dit le planteur, tenté sans doute par cette offre exorbitante, je vais consulter Catherine ; mais je ne compte guère sur la réussite. Je crois que sa femme de chambre est la fille d’un roi Foolah. Miss Vaughan l’aime beaucoup, j’ai promis de ne jamais la vendre sans son aveu et, dites-le bien à M. Jessuron, je suis incapable de manquer à ma parole, moi ! »

Après avoir prononcé ces derniers mots avec affectation, le planteur quitta la salle dans laquelle il rentra au bout de quelques minutes pour dire à Ravener :

« Comme je m’en doutais, je ne puis céder Yola, quelque prix que vous m’offriez d’elle.

— Bonjour, monsieur Vaughan, je n’avais pas d’autres affaires ce matin, répondit l’inspecteur avec une obséquiosité qui cachait mal son dépit.

— Jacob Jessuron est terriblement généreux ce malin, se dit le planteur quand la porte se fut refermée. Il avait sans doute quelque méchant projet, et je me suis mis en travers… Ma foi ! je suis ravi d’avoir vexé le vieux ladre ; il m’a joué assez de mauvais tours. »

Lorsque la monture de Ravener prit le chemin commun au sortir de l’allée de tamarins, elle fut rejointe par une autre mule sur laquelle venait le marchand d’esclaves, impatient de connaître le résultat de la négociation de son envoyé. Quand Ravener lui eut conté sa déroute, le vieux Juif fut saisi d’un transport de colère :

« La boue de mes bottes pour vous, mons Vaughan ! cria-t-il en brandissant son parapluie dans la direction de Mount-Welcome. Il viendra un temps où vous mendierez deux cents livres. Et cette belle lady de couleur, cette miss niaise ! Peut-être sera-t-elle vendue un jour sur le marché, et moins de deux cents livres, car elle ne les vaut pas. Je donnerais deux fois la somme pour voir cela, et je le verrai peut-être gratis un jour ou l’autre. »

Ravener, avec toute la soumission d’un inférieur et tout le respect qu’il portait à un vieux coreligionnaire, car lui-même était juif, laissa déborder la colère de Jacob Jessuron ; mais quand elle ne s’exprima plus qu’en interjections entrecoupées, il adressa la parole à son patron d’un ton insinuant :

« Rabi (maître), lui dit-il, c’est donc une belle affaire que vous manquez là ?

— Och ? vous le voyez bien. Le prince m’aurai ! donné vingt robustes Mandigos en échange de Yola. Il n’y a pas à en douter ; c’est sa sœur. Vingt Mandigos qui valent chacun cent livres ; c’est une fortune !

— Eh bien ! rabi, elle est à vous tout de même.

— Et comment ?

— Le capitaine Jowler a bien ses raisons pour ne pas venir à terre… Et à qui répondez-vous du prince ? à lui seulement.

— Étonnant Ravener ! s’écria le juif en regardant son confident avec admiration. Parle Dieu de nos pères ! je n’avais pas songé à cela. C’est vrai. Jowler n’ose pas montrer sa figure dans la baie. En outre, il y a une convention entre nous. Peu lui importe ce que deviendra le prince ; son navire repart dans les vingt-quatre heures.

— Alors, rabi, dans vingt-quatre heures, les Mandigos et le prince, qu’il faut débarrasser de ses oripeaux en clinquant, seront à vous. »