Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Oui… non,… pas encore. Bonté du ciel, dit de nouveau le custos, je savais bien qu’il viendrait !

— Vous attendez quelqu’un, mon père ?

— Oui, Kate ; imaginez qui ce peut être.

— Comment voulez-vous que je le devine, père ? Je ne connais pas vos amis anglais. Est-ce que ce serait ce M. Smythje dont vous parlez souvent ? Smythje ! quel nom burlesque ! je ne voudrais m’appeler Smythje pour rien au monde.

— Ta, ta, ta, Catherine. Smythje sonne bien à l’oreille, surtout précédé de « Mon-tagu. » M. Smythje devient propriétaire du château de ce nom.

— Et c’est ce monsieur que vous attendez, père ?

— Oui, mon enfant ; il m’apprend qu’il arrivera par le navire la Nymphe de l’Océan, qui devait mettre à la voile une semaine après le départ de cette lettre ; il fera donc son apparition d’un moment à l’autre. Il s’agit de tout préparer. Montagu-Castle est en réparation ; Smythje sera donc notre hôte. Catherine, vous ferez de votre mieux pour bien accueillir cet étranger qui est un gentleman accompli et, de plus, fort riche. Mon intérêt exige que nous soyons amis, je vous expliquerai cela, ajouta Loftus Vaughan en baissant la voix.

— Cher père, je vous obéirai du mieux possible ; mais vous oubliez qu’il y a là une seconde lettre.

— De qui diable peut-elle venir ? dit le custos. Je ne connais pas cette écriture-là. »

Si le contenu de la première missive avait égayé le planteur, la lecture de la seconde eut un effet tout différent ; le front de Loftus Vaughan se plissa et s’assombrit.

« Le diable soit de lui ! dit-il en froissant l’enveloppe ; mort ou vivant, mon frère a donc été créé pour mon malheur ! Vivant, il me persécutait de demandes de secours ; mort, il me lègue son fils, quelque propre à rien comme lui, j’imagine.

— Cher père, dit Kate qui n’avait pas compris les dernières paroles du planteur, plutôt grommelées que prononcées, cette lettre vous apporterait-elle quelque chagrin ?

— Voyez vous-même. »

Kate ramassa l’épître à moitié déchirée et la parcourut des yeux ; elle était courte.

« London, 6 septembre 18..
« Cher oncle,

« J’ai à vous annoncer une triste nouvelle, votre frère, mon bien-aimé père, n’est plus. J’obéis à son dernier désir en me rendant près de vous. J’ai pris passage pour la Jamaïque sur le navire la Nymphe de l’Océan. J’ai dû me résigner à faire partie des voyageurs du faux pont, car je manque d’argent : mon pauvre père ne m’a rien laissé. Je m’embarque néanmoins avec confiance dans vos sentiments de bienveillance à mon égard, et tout mon bon vouloir sera employé à reconnaître votre accueil sympathique dont je ne doute pas.

« Votre respectueux et affectionné neveu.

« Herbert Vaughan. »

« Pauvre garçon ! dit Kate, il est donc sans ressources, et nous sommes si riches ! Comme il fait bien de venir ! Nous pourrons l’aider, père, le consoler.

— Vous ne savez ce que vous dites ! s’écria M. Vaughan d’un ton courroucé. Comment pouvez-vous vous apitoyer sur le sort d’un individu qui ne rougit pas de prendre sa place dans le steerage ? Que pensera Smythje qui vient précisément par le même navire ? car il saura que ce garçon est mon neveu. Le diable emporte ces gens sans gêne qui tombent chez vous pour s’y faire nourrir, sous prétexte de parenté. Oh ! Il ne faut pas que Smythje voie ici ce « pauvre garçon », comme vous l’appelez. Pauvre, oui, mais non pas comme vous l’entendez, Kate : pauvre, parce qu’il est paresseux, incapable comme son père, barbouillant de mauvaises toiles pour être appelé artiste. Artiste ! à quoi cela est-il bon ? »

Kate, émue et décontenancée par cette violente sortie, s’abstint d’y répondre ; mais il était facile de voir que le blâme paternel n’avait pas altéré sa soudaine sympathie pour ce cousin, pour cet orphelin qu’elle ne connaissait pas.